PARIS : Une vie de "poisse" pour l'un, le "stress" d'être "mêlé à ce type d'histoire" pour l'autre. Au procès du 13-Novembre, la cour d'assises spéciale de Paris a interrogé vendredi les derniers accusés sur leurs parcours avant les attentats.
Grand gabarit, Farid Kharkhach se penche sur le micro pour se faire entendre. Depuis le début mardi des interrogatoires de personnalité des 14 accusés présents - six autres sont jugés par défaut - le Belgo-Marocain de 39 ans est le premier à affirmer ne connaître "personne" dans le box.
"D'ailleurs je ne sais pas ce qu'il fait ici", avait lâché Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos projetés par le groupe Etat islamique le 13 novembre 2015.
Accusé d'avoir servi d'intermédiaire entre la cellule jihadiste et un réseau de fabrication de faux papiers, Farid Kharkhach estime son rôle "bidon".
Face à la cour, qui ne l'interrogera sur les faits qu'en 2022, il se montre bavard, n'hésitant pas à vouloir expliciter des éléments touchant au fond du dossier pour ne pas être traité de "menteur".
Pull sans manches sur chemise rose pâle, lunettes et bouc poivre et sel, Farid Kharkhach revient avec aisance sur sa grande fratrie, son diplôme en informatique décroché au Maroc, son déménagement en Belgique pour la femme dont il est tombé amoureux.
Le couple se sépare, il tombe en dépression. Il rencontre une autre femme, vit de petits boulots avant d'ouvrir un garage en 2009, qu'il doit fermer pour un contrat non déclaré un an plus tard.
"C'est là que la malchance a commencé", dit Farid Kharkhach, toujours aussi disert pour raconter la succession de "poisses" dans sa vie.
Il se lance dans "le transport de sacs non accompagnés" (de vêtements ou de pistaches), les marchandises sont saisies. Il achète et revend un terrain au Maroc, se fait détrousser par un "pickpocket". "Rebelote" quand il acquiert deux voitures de luxe et qu'un ami qui en conduit une le percute.
"Je recommence ma vie, je sais que j'ai la poisse toujours", raconte Farid Kharkhach, qui en rigole.
"C'est bien d'en rire", commente le président de la cour, Jean-Louis Périès, afin d'abréger la liste.
«Bousillé»
L'accusé change de ton pour décrire comment "cette affaire a cassé (sa) vie". Incarcéré depuis juin 2017, Farid Kharkhach, qui souffre de troubles obsessionnels compulsifs, voit "des microbes partout". Il a même "attrapé la pelade (une perte de cheveux) à cause du stress".
Avant lui, Ali Oulkadi a aussi raconté comment "l'affaire" pour laquelle il est jugé "a bousillé" ses proches, et le "stress" qui l'a envahi à l'approche du procès.
Soupçonné d'avoir aidé Salah Abdeslam à se cacher à Bruxelles après les attentats de Paris, ce Français de 37 ans, marié et père de trois enfants, comparaît libre.
Juste avant son interrogatoire à la mi-journée, il a fait un malaise dans la salle d'audience, retardant la reprise du procès. Sans que la cour ou ses avocates n'en disent un mot.
Son interrogatoire se focalise autour de ses relations avec Brahim Abdeslam, frère du principal accusé, tueur et kamikaze des terrasses le 13-Novembre.
Ce dernier n'était "peut-être pas" son meilleur ami, comme il l'a dit au juge d'instruction, "mais un très bon ami oui", déclare à la cour Ali Oulkadi, cheveux courts et sweat-shirt bleu foncé.
Il avait fait sa connaissance en 2013, dans le café que Brahim Abdeslam gérait dans le quartier bruxellois de Molenbeek, où ont grandi plusieurs accusés.
Les deux hommes jouaient "souvent aux cartes" ou aux échecs, écoutaient aussi la même musique, du "rap français". "On a vite sympathisé", confie Ali Oulkadi. "On est nés le même mois dans le même hôpital, on est du même village au Maroc", détaille-t-il.
Quand il est interpellé, il trouve "très difficile d'être mêlé à ce type d'histoire". "Se faire appeler le terroriste", ce sont "des coups de couteau dans le cœur à chaque fois", affirme Ali Oulkadi, qui souhaiterait désormais avoir la vie de "n'importe qui".