PARIS : Un ex-dealeur de cannabis, un spécialiste de la débrouille devenu "sociologue": au procès des attentats survenus le 13 novembre 2015 à Paris, la justice a continué mercredi à examiner les profils des hommes accusés à des degrés divers d'avoir participé à la tuerie.
Il s'avance à la barre et prend une longue respiration. Plus jeune des accusés au procès des attaques djihadistes qui ont fait 130 morts le 13 novembre 2015, Hamza Attou, 27 ans, est l'un des trois hommes à comparaître libre sous contrôle judiciaire.
Pull marin et baskets, ce Belge au visage poupin semble, dès le début de son interrogatoire de personnalité, à fleur de peau. Très vite, ses yeux s'embuent quand il évoque les décès récents de son père et de son frère.
Cinquième enfant d'une fratrie de six, "chouchouté" par ses soeurs, Hamza Attou a grandi au sein d'une famille "honnête" dans le quartier bruxellois de Molenbeek, comme Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos projetés depuis la Syrie par l’État islamique (EI).
C'est au café géré par le frère de ce dernier, Brahim Abdeslam, tueur et kamikaze des terrasses parisiennes, qu'Hamza Attou a rencontré plusieurs de ses coaccusés.
C'est là aussi que ce "gros fumeur" de cannabis, qui travaillait les week-ends sur les marchés, a commencé à "dealer" en 2013 pour financer les "4-5 grammes" qu'il fumait quotidiennement, "du matin au coucher". Sans être inquiété pour ce trafic.
"Au jour d'aujourd'hui, j'aurais largement mais largement préféré être arrêté pour ça", lâche Hamza Attou.
Jugé pour être allé chercher Salah Abdeslam à Paris la nuit des attentats - ce qu'il a reconnu au début du procès, en maintenant qu'"à aucun moment" il n'a "voulu faire du terrorisme" - il encourt six ans d'emprisonnement.
Le ton s'allège un peu quand il évoque face à la cour les violations de son contrôle judiciaire pour "faire la fête" en boîte de nuit et retrouver un "semblant de vie normale".
"Souvent dans ma vie, j'agis, puis je réfléchis. C'est aussi pourquoi je me retrouve ici", explique Hamza Attou, regrettant d'en avoir fait "baver à (sa) famille".
Des faits qui lui sont reprochés, il ne pourra pas en dire plus: les interrogatoires des accusés sur le fond du dossier et sur leur rapport à la religion ne sont prévus qu'en 2022.
Ce séquençage du procès, lié à l'ampleur des investigations, oblige la cour et les parties à un numéro d'équilibriste.
Il est particulièrement poussé lors de l'interrogatoire d'un autre accusé, Mohamed Bakkali, Belgo-Marocain de 34 ans et logisticien présumé des attentats du 13-Novembre.
«Pas vraiment déclaré»
Passée rapidement sur son enfance "agréable" au sein d'une famille unie, la cour s'intéresse à sa vie active, faite de "débrouilles" et de travail "pas vraiment déclaré", dans la contrefaçon de vêtements ou parfums.
Mais le juge est vite gêné dans ses questions. Mohamed Bakkali a croisé sur sa route les frères Khalid et Ibrahim El Bakroui, auteurs des attentats de Bruxelles en mars 2016.
"On (y) reviendra plus précisément (ultérieurement) parce que là, on va aborder le fond du dossier", s'inquiète le magistrat. Il se retrouve plusieurs fois à devoir couper les explications de l'accusé et à reprendre des avocats de parties civiles pour les mêmes raisons.
Même difficulté quand le parquet national antiterroriste (Pnat) veut en savoir plus sur son divorce de sa première épouse. "Je sais où vous voulez en venir, c'est pas le cas. C'est pas par rapport à des désaccords religieux!", s'agace Mohamed Bakkali, crâne rasé, barbe fournie, un sweat-shirt beige sur ses larges épaules.
A défaut d'approfondir ces sujets, on s'attarde sur la détention de l'accusé, l'isolement qui fait perdre toute "humanité", la licence de sociologie qu'il a décrochée, "une manière de résister" à ses conditions en prison.
"Ca a permis de complexifier ma compréhension des choses", résume doctement Mohammed Bakkali, à un avocat de parties civiles qui l'interrogeait sur ce que lui avait apporté cette licence. Elle m'a donné, ajoute-t-il, "des leviers (de compréhension) sur les actes que j'ai pu commettre".
Les interrogatoires des accusés se poursuivent jusqu'à vendredi.