KHARTOUM : "Comment ont-ils pu affronter des manifestants pacifiques avec des armes?" Abdel Nasser al-Chazli est affligé. Son fils Jamal, âgé de 20 ans, a été tué par balles la semaine dernière lors des manifestations hostiles au coup d'Etat militaire au Soudan.
Jamal appartenait à la jeunesse soudanaise qui a mis fin en 2019 à 30 ans de règne de l'autocrate Omar el-Béchir, au prix d'une révolte qui a fait plus de 250 morts.
La semaine dernière, alors qu'il manifestait contre le putsch mené le 25 octobre par le général Abdel Fattah al-Burhane, Jamal a perdu la vie en raison de la répression, tout comme onze autres personnes, selon un syndicat de médecins prodémocratie.
"Lorsque je suis allé à la morgue, je n'ai pas pu le reconnaître", raconte à l'AFP M. Chazli, bouleversé.
Alors que la police a juré n'avoir tiré que des grenades lacrymogènes sur les manifestants, il a retrouvé la dépouille de son fils criblée de balles.
Jamal a reçu deux balles dans la tête et une dans le ventre, qui "semblent avoir été tirées à bout portant", selon son père. Une partie de son corps aurait été écrasée par un poids lourd.
Les manifestants se battaient alors pour une même revendication, un régime civil, après que le général Burhane avait dissous toutes les institutions du pays et fait arrêter la quasi-totalité des dirigeants civils avec lesquels l'armée gouvernait.
Escalade et répression
Dans ce pays d'Afrique orientale à l'économie décimée par des décennies de sanctions américaines, de mauvaise gestion et de conflits armés sous Béchir, le putsch a mis un coup d'arrêt à une transition civilo-militaire qui battait de l'aile.
Le Premier ministre Abdallah Hamdok a été arrêté par l'armée puis assigné à domicile, tandis qu'une bonne partie de son cabinet demeure introuvable.
Les Soudanais sont immédiatement entrés en "désobéissance civile", sortant dans la rue pour huer les militaires aux quatre coins du pays.
Et tandis que le général Burhane a assuré "rectifier la trajectoire de la transition", ses forces de sécurité ont tiré sur les protestataires des balles réelles, en caoutchouc et utilisé des gaz lacrymogènes, selon un syndicat de médecins prodémocratie.
"J'ai vécu longtemps sous des régimes militaires : ils ne sont que persécution et répression", dénonce Abdel Salam Anouar, un autre père endeuillé.
Depuis son indépendance il y a 65 ans, le Soudan n'a connu que de rares interludes de régime civil, avec de nombreux coups d'Etat militaires, comme celui qui a porté le général Béchir au pouvoir en 1989.
La destitution du dictateur, actuellement emprisonné à Khartoum, avait offert une lueur d'espoir aux Soudanais.
Mais aujourd'hui, M. Anouar broie du noir. Ses fils Mohamed et Oussama ont été parmi les premiers à descendre dans la rue et s'opposer à un retour de l'ordre militaire, samedi 25 octobre.
Un seul d'entre eux en est revenu.
Désir de justice
Mohamed, 21 ans, a été grièvement blessé à la poitrine et au flanc, avant de succomber à ses blessures deux jours plus tard à l'hôpital.
Il faisait partie des manifestants qui ont tenu les barricades, brûlé des pneus à Khartoum-Nord et que la police a visé avec des grenades lacrymogènes, se remémore son frère.
"Quand ça s'est arrêté, on m'a dit que mon frère avait été touché et qu'il était hospitalisé", relate Oussama.
Malgré la répression et la coupure quasi-totale des communications, les manifestants ont continué à affluer par dizaines de milliers dans la rue samedi dernier.
Car la plupart d'entre eux gardent, comme feu Mohamed Anouar, de "l'espoir" pour leur pays, affirme sa soeur Dalia.
Depuis, face à l'intransigeance des militaires et l'éclatement des civils, diplomates étrangers et membres de la société civile soudanaise ont initié des médiations pour remettre la transition sur les rails.
Mais pour Abdel Salam Anouar, tout ce qui compte, c'est que justice soit rendue et qu'on mette fin à ce "régime répressif".
"Je ne veux pas que le sang de mon fils ait été versé en vain", espère-t-il.