Le rappel par l'Arabie saoudite de son ambassadeur au Liban a amené certains à suggérer que le Royaume réagissait de façon excessive à de simples propos. Mais la réalité est tout autre.
Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhan, l'a bien dit: les propos de Georges Kordahi, ministre libanais de l'Information, dans lesquels il a défendu la milice houthie soutenue par l'Iran au Yémen, ne font que masquer le problème de fond qui se pose au Liban: la domination du Hezbollah, qui contrôle de facto le pays depuis bien longtemps.
Kordahi lui-même est désormais obsolète. À l'apogée de sa carrière dans le monde des médias, son plus grand titre de gloire fut la présentation de la version arabe du célèbre jeu télévisé Qui veut gagner des millions? – et n'oublions pas qu'il a fait ses premiers pas sur une chaîne de télévision saoudienne prospère, la MBC. En tant que ministre, Kordahi se borne à lire le script que quelqu'un d'autre a préparé et qui se trouve affiché sur un téléprompteur; c’est le Hezbollah qui a écrit le dernier script.
Ses déclarations erronées sur la guerre du Yémen ne sont donc guère surprenantes. Ce qui l'est, en revanche, c'est la réponse timide apportée par le gouvernement de Najib Mikati.
Par ailleurs, certains ont une perception erronée de la wishlist (ou «liste de souhaits») saoudienne ou de ce que le Royaume exige du gouvernement libanais. Vous ne trouverez nulle part à Riyad une régie qui surveillerait le langage des ministres libanais. Le Liban a plutôt besoin d'un gouvernement déterminé à dissuader le Hezbollah de soutenir la milice houthie à travers les attaques de missiles et de drones qu'elle mène contre des civils en Arabie saoudite. Il faut que le gouvernement libanais mette un terme au trafic de drogue auquel se livre le Hezbollah vers le Royaume. Sur ce dernier point, l'Arabie saoudite a riposté en interdisant toutes les importations du Liban. Le Royaume n'avait pas d'alternative. En effet, cela fait des années que ce poison pénètre clandestinement dans le pays, dissimulé dans des cargaisons de fruits, de céréales et d'autres cargaisons qui paraissent bénignes à première vue. Si les autorités libanaises ne possèdent pas le pouvoir de juguler à la source ce commerce infâme, c’est au Royaume de prendre lui-même des mesures préventives.
Ce qui est surprenant, en revanche, c'est la réponse timide apportée par le gouvernement de Najib Mikati.
Faisal J. Abbas
Revenons au gouvernement qui siège à Beyrouth. Si le Premier ministre ne parvient pas à limoger un ministre de second rang pour avoir compromis les intérêts du pays par des allégations erronées et irresponsables, que peut-on donc espérer de ce dirigeant, ou encore de ce gouvernement? Lorsqu'il a pris ses fonctions, Mikati s'est engagé à rétablir les liens avec les pays arabes. En revanche, ces pays arabes, et notamment l'Arabie saoudite, s'intéressent aux actes, et non aux paroles; si le gouvernement n'a que des paroles à offrir, il devrait au moins les choisir avec plus de soin que ne l'a fait Georges Kordahi.
Selon d'autres détracteurs, Riyad se livre à une politique de la corde raide avec un pays faible et anéanti et le Royaume devrait apporter un soutien inconditionnel à ses frères du Liban s'il souhaite les aider – autre idée fausse, voire délirante. Le KSrelief (centre du roi Salmane pour l'aide humanitaire et le secours) a compté parmi les premières organisations à envoyer de l'aide au Liban après les explosions dévastatrices survenues dans le port de Beyrouth, au mois d’août 2020. Noor Nugali, correspondante d'Arab News, se trouvait sur place pour documenter cette opération. Le Royaume l'a clairement dit: il ne compte pas expulser les expatriés libanais, qui sont toujours aussi appréciés pour leur talent ainsi que pour la qualité de l’expertise qu'ils apportent à l'Arabie saoudite. Néanmoins, quand des terroristes ciblent des civils, des infrastructures et les aéroports du Royaume, ces détracteurs pensent-ils sérieusement que ce dernier – ou n'importe quel pays – appuiera un gouvernement qui compte dans ses rangs un ministre ouvertement favorable à ces terroristes?
Entendons-nous bien: ce n’est pas l'Arabie saoudite qui est responsable des malheurs qui frappent le Liban, mais le Hezbollah. Ce n'est pas l'Arabie saoudite qui a assassiné Rafic Hariri, occupé Beyrouth ou entreposé des explosifs dans un port commercial, mais le Hezbollah. Si les responsables libanais ne parviennent pas à regarder ces vérités en face, ils pourraient au moins convaincre leur ministre de l'Information de la triste réalité: ses jours de gloire en tant que présentateur de l'émission Qui veut gagner des millions? sont révolus, et le gouvernement dont il fait partie – manipulé, piraté et contrôlé par des forces extérieures – constitue désormais le maillon faible.
Faisal J. Abbas est rédacteur en chef de Arab News.
Twitter: @FaisalJAbbas
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com