PARIS: Une convocation inédite: l'ex-président français Nicolas Sarkozy est attendu mardi pour témoigner au procès de ses anciens proches dans l'affaire dite des "sondages de l’Élysée", dans laquelle il est couvert par son immunité présidentielle.
Dans un coup de théâtre judiciaire, le président de la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris avait ordonné le 19 octobre la comparution comme témoin de l'ancien président de la République de droite (2007-2012), au besoin "par la force publique".
Protégé par son immunité depuis le début de cette affaire de sondages surfacturés commandés par la présidence pendant son quinquennat, Nicolas Sarkozy n'a jamais été poursuivi ni entendu concernant les soupçons de favoritisme et de détournement de fonds publics sur lesquels s'expliquent depuis deux semaines ses anciens collaborateurs.
Cité comme témoin par l'association de lutte contre la corruption Anticor, partie civile, il avait fait savoir qu'il n'entendait pas venir, comme pendant l'instruction.
Si Nicolas Sarkozy ne peut être poursuivi, la Constitution n'interdit pas son audition comme témoin, a estimé le tribunal, jugeant que l'entendre était "nécessaire à la manifestation de la vérité".
Jusqu'ici, jamais la justice française n'a contraint un ex-chef de l’État à témoigner sur des faits en lien avec des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions.
Sur la base de cette immunité, Jacques Chirac (1995-2007) avait ainsi refusé de témoigner dans les affaires Angolagate, Clearstream et Karachi.
Retiré de la politique depuis 2016, Nicolas Sarkozy a informé le tribunal de sa venue mardi à 13H30 (12H30 GMT) et qu'il était inutile de faire appel à la force publique.
L'ancien président de 66 ans devrait croiser mardi cinq de ses anciens proches, interrogés depuis le 18 octobre sur des prestations de conseil et de fourniture de sondages pour des millions d'euros entre 2007 et 2012.
Aucune n'a fait l'objet d'un appel d'offres, ce qui prouve, pour l'accusation, du favoritisme de la part de l'ancien secrétaire général de la présidence Claude Guéant, de l'ex-directrice de cabinet Emmanuelle Mignon et de celui qui était alors conseiller technique "opinion", Julien Vaulpré.
«Sur instruction» du président
Soupçonné d'avoir profité d'un "avantage injustifié", l'ancien sondeur Pierre Giacometti et le très droitier politologue Patrick Buisson sont jugés pour recel de favoritisme.
Ce dernier, tombé en disgrâce à droite en 2014 après la révélation d'enregistrements clandestins de conversations à l’Élysée, est en outre poursuivi pour abus de biens sociaux, ainsi que pour détournement de 1,4 million d'euros de fonds publics autour de marges de 65,7 à 71% sur la revente de sondages - M. Guéant et Mme Mignon étant mis en cause dans ce volet pour négligence.
Au fil des audiences, les prévenus ont fait valoir que jamais, depuis 1958, l’Élysée n'avait souscrit aux règles de la commande publique et que c'est justement à partir du quinquennat Sarkozy qu'elles ont commencé à s'appliquer.
Ils ont aussi affirmé qu'une mise en concurrence aurait été impossible dans la mesure où les conseillers avaient été "choisis" et les contrats signés "sur instruction" de Nicolas Sarkozy.
Le tribunal cherchera ainsi des réponses auprès de l'ancien président, mais de nombreuses interrogations subsistent autour de son témoignage.
Nicolas Sarkozy pourrait par exemple refuser de prêter serment - ce qui lui ferait théoriquement encourir jusqu'à 3.750 euros d'amende.
Il pourrait aussi opposer le silence à certaines questions, voire toutes, en invoquant notamment le secret professionnel.
"Moi je ne réponds pas aux provocations (...) Il faut être plein de sang-froid, ne pas passionner, ne pas énerver les choses", a-t-il revendiqué récemment.
S'il décide au contraire de parler, ses déclarations pourraient avoir un impact important sur la détermination des responsabilités.
Nicolas Sarkozy est convoqué comme témoin dans la même salle d'audience où se sont tenus deux récents procès au cours desquels il était cette fois poursuivi, pour des faits postérieurs à son quinquennat - et donc non couverts par l'immunité.
Il a été condamné en mars à trois ans d'emprisonnement, dont un an ferme, dans l'affaire dite des "écoutes" (pour avoir tenté d'obtenir d'un haut magistrat des informations couvertes par le secret dans une procédure judiciaire), puis en septembre à un an ferme dans le dossier Bygmalion (pour avoir dépassé le seuil légal de dépenses électorales pendant la présidentielle de 2012).
Dans les deux cas, il clame son innocence et a fait appel, ce qui suspend l'application des peines.
D'autres enquêtes sont en cours le concernant.