TUNIS: Kateb Yacine est décédé un certain 28 octobre 1989... l'occasion aujourd'hui pour Arab News en français de revenir sur le parcours de cet écrivain hors-pair.
Kateb Yacine fut un romancier et un dramaturge visionnaire. Grâce à son roman Nedjma, il est considéré comme le fondateur de la littérature algérienne moderne. Mais Kateb Yacine était avant tout un poète rebelle. Plus de trente ans après sa disparition, il connaît toujours une popularité certaine dans les cercles littéraires algériens et au-delà.
Kateb Yacine était issu d’une famille de lettrés de la tribu des Keblout du Constantinois (Est algérien). Alors qu’il n’a pas encore 16 ans, le 8 mai 1945, il participe aux soulèvements populaires du Constantinois pour l’indépendance. Arrêté à Sétif, il est incarcéré durant trois mois et subit de plein fouet la répression qui s’abat alors sur des milliers d’Algériens. Cette journée meurtrière du 8 mai 1945, marquée par le saccage des trois villes de l’Est algérien, Guelma, Kherrata et Sétif, par les forces coloniales, le marquera à vie et imprimera de son sceau son engagement et son écriture, faisant le lien entre son histoire personnelle et le destin de son peuple.
Entre 1949 et 1951, Kateb Yacine est journaliste au quotidien Alger républicain, dans les pages duquel il publie ses reportages dans différents pays (Soudan, Vietnam…). En 1952, il s’installe à Paris où il s’emploie à donner forme aux œuvres dont il porte en lui l’ébauche depuis de nombreuses années.
Rédigé en français, Nedjma, qui paraît en 1956 aux éditions du Seuil, est un roman fondateur qui a totalement bouleversé l’écriture maghrébine. Dans cette histoire métaphorique, quatre jeunes gens – Rachid, Lakhdar, Mourad et Mustapha – gravitent autour de Nedjma en quête d’un amour impossible et d’une réconciliation avec leur terre natale et leurs ancêtres. La question de l’identité, celle des personnages et d’une nation, est au cœur d’une œuvre pluridimensionnelle et polyphonique.
Nedjma deviendra une référence permanente dans l’œuvre de Yacine, amplifiée en particulier dans Le Polygone étoilé, mais aussi dans son théâtre (Le Cercle des représailles) et sa poésie.
Fatigué de sa vie d’errance en Europe depuis le début des années 1950, il retourne s’installer durablement en Algérie en 1970. Il abandonne alors l’écriture en français et se lance dans une expérience théâtrale en langue dialectale dont sa pièce culte, Mohamed prends ta valise.
Le choix d’abandonner le français dans son œuvre théâtrale populaire pose aussi la question du rapport des États indépendants avec la langue de leur ex-colonisateur. S’il considérait le français comme un «butin de guerre», il revendiquait aussi les langues nationales algériennes, l’arabe dialectal et le tamazight (berbère).
Fondateur de l’Action culturelle des travailleurs (ACT), il joue dans les lieux les plus reculés et improbables, usines, casernes, hangars, stades, places publiques... car il concevait son art comme devant être à la portée de son peuple.
À travers son œuvre, Kateb Yacine a fait le procès de la colonisation, du néocolonialisme, mais aussi de la dictature postindépendance qui n’a cessé de spolier le peuple. La Voix des femmes (1972), La Guerre de 2000 ans (1973), Le Roi de l’Ouest (1972), Palestine trahie (1974) sont autant de pièces où l’auteur s’oppose frontalement aux nouveaux leaders politiques qui ont accédé au pouvoir après le départ des colonisateurs.
«Le vrai poète fait sa révolution à l’intérieur de la révolution politique; il est au sein de la perturbation, l’éternel perturbateur. Le poète, c’est la révolution à l’état nu, le mouvement même de la vie dans une incessante explosion», disait-il.