FARAH, Afghanistan: Dans les locaux de la station de radio Urooj à Farah (Ouest de l'Afghanistan), des équipes de journalistes enchaînaient les bulletins d'information mais, depuis l'arrivée des talibans, Ebrahim Parhar reste seul à diffuser des heures de programmes religieux.
Il a lancé Urooj, qui signifie "l'Ascension" en pachtoun, il y a six ans, en choisissant des programmes variés pour un public longtemps privé de médias.
"Nous avions des programmes musicaux, religieux, politiques et musicaux", dit-il à l'AFP, ajoutant que jusqu'à il y a deux mois la station diffusait 19 heures par jour.
Mais lorsque les combattants islamistes ont pris le pouvoir à la mi-août, tout a changé.
"Malheureusement, de tous les programmes, il n'en reste qu'un seul, le religieux", indique cet homme âgé de 35 ans, rasé de près, aux cheveux noirs courts et aux yeux bleus perçants, en servant le thé sur son bureau.
"Nous préparons une liste le matin et la rediffusons toute la journée car il n'y a plus de direct".
Il a dû licencier tous ses 18 employés, parmi lesquels huit femmes. "Tous les contrats et les publicités que nous avions ont été annulés", ajoute-t-il. "Si cela persiste,nous devrons fermer".
L'arrivée des talibans a détruit le rêve de Marya Sultani, ancienne présentatrice du journal, de devenir une "journaliste célèbre" dans la province de Farah.
«Tout s'est arrêté»
"J'étais parvenue à devenir journaliste, mais maintenant tout s'est arrêté", dit à l'AFP cette jeune femme de 25 ans, un châle noir sur la tête.
Venue rendre visite à son ancien collègue, elle prend place derrière le micro, dans le studio insonorisé où elle travaillait.
Après avoir travaillé pendant cinq ans, elle est maintenant "au chômage et recluse à la maison", terrifiée à l'idée que "quelqu'un me fasse du mal" pour avoir été journaliste.
Les talibans, dont le régime à la fin des années 1990 était brutal et répressif, ont affirmé qu'ils respecteraient les droits des femmes conformément à la charia, mais depuis près de deux mois les femmes sont largement empêchées de travailler.
Selon les groupes de défense de la liberté de la presse et des droits humains, ils ont imposé de nouvelles règles aux journalistes, notamment l'interdiction de tout reportage "contraire à l'islam", "insultant des personnalités publiques" ou concernant "des sujets qui n'ont pas été confirmés par les autorités".
Selon le Comité pour la sécurité des journalistes afghans (AJSC), plus de 70% des médias du pays ont fermé.
De nombreux journalistes ont fui le pays ou vivent dans la clandestinité, laissant le paysage médiatique du pays à son niveau plus bas depuis vingt ans, selon l'AJSC.
Certains de ceux qui ont continué à travailler ont été arrêtés et battus alors qu'ils tentaient de couvrir des manifestations non autorisées.
"Je suis inquiet parce que certains de mes employés ont été menacés", indique M. Parhar, qui a été déjà "pris pour cible deux fois".
Avant l'offensive finale qui leur a permis de devenir en quelques jours les maîtres du pays, les talibans avaient organisé une série d'assassinats ciblés contre des personnalités publiques, dont des journalistes.
Les autorités du précédent gouvernement lui avaient fait savoir à plusieurs reprises qu'il était "une cible potentielle". "Je ne me sens pas en sécurité", dit-il.