PARIS: La décision de la Pologne de décréter la primauté de son droit national sur le droit européen rejoint les propositions de plusieurs candidats à la présidentielle en France qui menacent l'État de droit et peuvent conduire à un Frexit de fait.
À six mois du scrutin présidentiel, Marine Le Pen a apporté vendredi son "soutien" à la Pologne alors qu'elle-même veut inscrire, dans la Constitution française, la primauté du droit national sur le droit européen et international, selon son projet de loi sur l'immigration qu'elle a présenté récemment.
La plus haute juridiction polonaise a déclaré jeudi que certains articles du traité de l'UE étaient "incompatibles" avec la Constitution polonaise et s'est prononcée contre la suprématie du droit communautaire européen.
Une décision historique, "gravissime" selon le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune, qui pourrait menacer le financement par l'UE de la Pologne, voire son appartenance à l'Union.
Pour Marine Le Pen, qui ne veut plus sortir de l'UE ni de l'euro, tout texte international jugé contraire à la Constitution restera "inappliqué", si bien que la France n'aura "pas besoin de sortir" des traités.
Éric Zemmour, son rival toujours pas candidat à l'extrême droite, a dénoncé dans un communiqué "un coup d’État fédéraliste" contre la Pologne et estimé qu'il était "temps de rendre au droit français sa primauté sur le droit européen".
"Ce que vous proposez, en définitive, c'est le Frexit", "un retour en arrière de 60 ans dont nous payerions le prix fort", lui a répondu sur Twitter l'eurodéputée Agir Fabienne Keller.
«Coup d'État»
À droite aussi, l'ancien négociateur du Brexit et candidat à l'investiture de LR Michel Barnier défend, à la stupéfaction de nombreux de ses anciens collègues à Bruxelles, la nécessité d'une "souveraineté juridique". Mais seulement en matière d'immigration, faisant valoir que "si on ne change rien, il y aura d'autres Brexit".
L'ancien commissaire européen déplore, comme Marine Le Pen, que la France soit "menacée en permanence d'un arrêt ou d'une condamnation" de la CEDH (Convention européenne des droits de l'homme) ou de la CJUE (Cour de justice européenne) sur le regroupement familial par exemple.
Son rival ex-LR Xavier Bertrand propose pour sa part d'introduire dans la Constitution "un mécanisme de sauvegarde des intérêts supérieurs de la France. Lorsque ceux-ci sont en jeu, la souveraineté populaire doit primer".
Le candidat et ex-ministre socialiste Arnaud Montebourg demande lui aussi "la supériorité de la loi française sur les décisions européennes".
Pour le professeur de Droit constitutionnel Dominique Rousseau "ces propositions ressemblent à un coup d'État contre l’État de droit".
Il rappelle que "ce n'est pas l'Europe qui impose ses valeurs aux 27 États membres" mais que les traités européens "sont fondés sur les 'traditions constitutionnelles communes des États'".
"L'UE, ajoute-t-il, n'impose pas la démocratie et l’État de droit, elle lit les différentes constitutions". Et la France, dans sa Constitution, consent même "aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix".
Frexit
Alors que certains candidats se prévalent du "bouclier constitutionnel" allemand, le constitutionnaliste explique que la France dispose déjà d'une forme de "bouclier" puisque députés et sénateurs peuvent "dire en amont ce qu'ils pensent de tel ou tel projet de directive", et que la Constitution peut "censurer un acte européen si cet acte porte atteinte à l'identité constitutionnelle de la France".
Et, note Serge Slama, professeur de Droit public à l'Université Grenoble-Alpes, "ce n'est pas une directive européenne qui empêche de restreindre le regroupement familial, c'est le droit de vivre en famille. Ce n'est pas une directive européenne qui empêche de limiter l'asile, c'est notre Constitution" et ses principes fondamentaux basés sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Or l’État de droit et la démocratie "on ne les respecte pas qu'un petit peu quand ça nous plaît", par exemple sur l'immigration, estime M. Rousseau. "Le principe de la liberté est un principe qui n'est pas négociable".
Pour M. Slama, droite et extrême droite ne pourront donc "pas balayer le droit de l'union, sauf à sortir de nos engagements et faire un Frexit".