LE CAP: Le petit homme dans son habit violet d'archevêque a une aura et un rire qui ont passé les frontières de l'Afrique du Sud. Desmond Tutu, héros de la lutte contre l'apartheid et prix Nobel de la paix, a fêté jeudi ses 90 ans au Cap.
Le premier archevêque anglican noir du pays est arrivé peu avant midi en fauteuil roulant, accompagné de sa femme Leah, à la cathédrale St George où il a longtemps prêché.
Le service organisé pour l'occasion et retransmis en direct à la télévision s'est ouvert sur un « Joyeux anniversaire » entonné par toute l'assemblée endimanchée. Desmond Tutu, en costume noir, n'a pas pris la parole.
« L'Afrique du Sud d'aujourd'hui a besoin d'autres Tutu, de gens qui n'hésitent pas à dénoncer la corruption » et les inégalités, a déclaré l'archevêque du Cap Thabo Makgoba, avant le service.
Dans la soirée, une conférence en ligne avec le Dalaï Lama, l'ancienne présidente de l'Irlande Mary Robinson, la militante des droits de l'Homme et veuve de Nelson Mandela, Graça Machel est organisée par la fondation Desmond Tutu.
L'« Arch », comme il est surnommé, devait passer le reste de la journée avec sa famille et ses proches.
Soulignant son « honnêteté, intégrité, intrépidité », le président sud-africain Cyril Ramaphosa a présenté ses vœux dans un communiqué: « Pendant près de trois décennies, vous avez été une voix de la conscience ».
Le président américain Joe Biden a salué « le courage et la clarté morale » du religieux, qui l'ont inspiré en tant qu'homme politique.
« L'archevêque est un être humain extraordinaire », a déclaré Sello Hatang, qui dirige la fondation Mandela. Le dessinateur de presse Zapiro, qui croque le prélat avec délice depuis bien lontemps, a lui aussi glissé « ses meilleurs vœux » sur Twitter.
Sur les réseaux sociaux, les messages de simples internautes pleuvaient, certains partageant la vidéo de Desmond Tutu dansant avec le Dalaï Lama lors des 80 ans de ce dernier en Inde.
« Arc-en-ciel »
Voix des Sud-Africains noirs en lutte contre le régime raciste blanc, Desmond Tutu s'est peu exprimé publiquement ces dernières années. Il souffre d'un cancer de la prostate depuis plus de vingt ans.
Retraité depuis 2010, sa dernière apparition publique, marquée d'un simple geste de la main, date de mai lorsqu'il s'est fait vacciner contre la Covid.
Infatigable défenseur des droits et proche de l'icône Nelson Mandela, premier président noir d'Afrique du Sud, il a reçu un Nobel en 1984 pour son engagement contre l'apartheid aboli en 1994.
Organisant de grandes marches pacifiques au Cap, Tutu a milité pour l'adoption de sanctions internationales contre le régime honni.
Plus tard à la tête de la commission Vérité et réconciliation chargée de solder les crimes de l'apartheid, il fait entrer le pays dans une démarche de pardon. Baptisant son pays la « nation arc-en-ciel », il est convaincu que l'expérience sud-africaine peut aider le reste du monde à surmonter les conflits.
Mais pour une nouvelle génération de Sud-Africains, la population noire a fait trop de concessions dans la transition vers la démocratie et pas suffisamment réclamé de comptes.
Chacun reconnaît toutefois à Tutu de n'avoir jamais cessé de dénoncer les injustices: il s'est attaqué à l'homophobie, a défié Mandela sur le salaire de ses ministres, a vivement critiqué la présidence de Jacob Zuma gangrénée par la corruption.
En 2013, il a promis de ne plus jamais voter pour l'ANC, le parti historique au pouvoir, dénonçant les scandales d'Etat, l'indigence des écoles publiques et la pauvreté persistante.