PARIS : "Je veux qu'il dorme, demain ce sera terrible": au procès des attentats du 13-Novembre, la cour a entendu mardi la "douleur" de l'annonce de la mort pour les familles de victimes, et les "années teintées de larmes et de colère" qui ont suivi.
Samedi 14 novembre 2015, 17H00, à l'Ecole militaire où sont accueillies les nombreuses familles qui cherchent leurs proches, au lendemain des attentats. "C'est une attente interminable qui commence", dit Marie-Amélie devant la cour d'assises spéciale de Paris.
Cheveux blonds, lunettes rouges rectangulaires, jupe noire droite, elle se tient à la barre à côté de son neveu, Pierre*, grand mince aux cheveux bouclés. En novembre 2015, il avait 13 ans.
"Il ne parlera pas", prévient sa tante.
Elle se souvient de "l'angoisse qui monte" ce samedi-là quand personne n'a de nouvelles de Marie-Aimée - "tout le monde l'appelait Marie" - ni de son conjoint Thierry.
La veille au soir, sa "petite soeur" - de 12 ans sa cadette - était à la Belle Equipe avec sa bande d'amis pour fêter l'anniversaire d'Hodda, co-gérante de ce bar du XIe arrondissement.
"Rester sans rien faire est insupportable" alors, regroupés dans le salon des parents, ils appellent les numéros verts qui ne répondent pas, tentent les commissariats du quartier - fermés -, l'hôpital, partagent des photos. "J'ai l'impression d'être dans un trou noir", lui dit depuis son fauteuil son père, 88 ans.
«Tsunami»
A l'Ecole militaire, la nouvelle tombe dans la soirée, vers 22H00. "Ma mère s'effondre. Le téléphone sonne, c'est" Pierre.
"Je lui ai dit que nous ne savions pas encore, que nous allions rentrer et reviendrions demain. Je me souviens d'avoir pensé +je veux qu'il dorme, demain, ce sera terrible+", raconte Marie-Amélie.
Près d'elle, Pierre* reste droit, les yeux comme accrochés aux feuilles de papier posées devant sa tante. Il retire parfois son masque pour se tamponner les yeux avec un mouchoir.
"En l'espace de quelques secondes, il a perdu sa mère, son beau-père et sa marraine", la "meilleure amie" de sa mère.
Son père étant absent de sa vie, un "conseil de famille" décide que Pierre ira vivre chez ses grands-parents. L'après, souligne Marie-Amélie comme plusieurs proches, c'est aussi reconnaître les corps, préparer les enterrements, vider les appartements. Au milieu du "tsunami", il y a aussi le soutien des autres. "L'appartement de mes parents est resté rempli pendant des semaines".
Mais "les années qui ont suivi ont été teintées de silence, de colère, de larmes", dit-elle.
"Depuis six ans, je tente d'aider Pierre à se construire dans cette douleur, et aussi en dehors de cette douleur. Je ne voulais pas et je ne veux toujours pas que ça devienne son identité".
Son père à elle est "mort de chagrin" deux ans plus tard. Sa mère vit désormais mieux "dans sa mémoire ancienne, là les morts ne sont pas encore morts".
«La vie disparaît»
Victor Muñoz fêtait lui aussi l'anniversaire d'une amie à La Belle équipe, ce 13 novembre 2015. Il a été "assassiné à l'âge de 24 ans", tué d'une "rafale à la nuque" à la terrasse de ce bar, lâche sa mère, Dominique Kielemoes, carré gris et veste en jean.
Elle raconte aussi la froideur de l'accueil à l'Institut médico-légal (IML) où elle a dû dire au revoir à son fils "sans pouvoir le toucher", dans un temps "limité à cinq minutes". "Qui peut imaginer la douleur de ces moments là ?".
"La mort de Victor a saccagé nos vies. Du jour au lendemain, la vie disparaît", poursuit-elle, en lisant à toute vitesse le texte qu'elle a écrit, son fils aîné silencieux à côté d'elle.
"Il fallait rester debout pour lui malgré l'immensité de notre chagrin", déclare Dominique Kielemoes.
Cette professeure d'histoire-géographie en lycée n'a "pas pu reprendre le travail" qu'elle aimait: "je sentais que je ne pouvais pas supporter d'être en face de jeunes gens pleins de vie", explique-t-elle.
Son fils était "beau, solaire, joyeux", il aimait "le foot et le Barça", était "épris de liberté". En témoignant au procès de ces attentats, il s'agit de parler de la "vie, des passions, des amours" de tous ces jeunes tués le 13-Novembre. "Ce n'étaient pas des cibles".