TOKYO: Fumio Kishida, 64 ans, a été élu lundi Premier ministre du Japon par le Parlement et devait annoncer son équipe gouvernementale dans la foulée, après son élection mercredi dernier à la présidence du parti au pouvoir.
M. Kishida a remporté 311 voix à la Chambre basse de la Diète, contre 124 voix pour le principal leader de l'opposition, Yukio Edano. La Chambre haute l'a aussi largement plébiscité avec 141 voix, contre 65 pour M. Edano.
Le gouvernement sortant dirigé par Yoshihide Suga, 72 ans, avait démissionné en bloc dans la matinée. M. Suga quitte le pouvoir après un an d'exercice à peine, vaincu par son impopularité du fait de sa gestion de la crise sanitaire et du maintien coûte que coûte des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo cet été.
M. Kishida aura fort à faire pour accélérer la reprise économique du Japon tout en évitant une recrudescence de la crise sanitaire, et faire face à un contexte géopolitique régional tendu, avec la menace nord-coréenne et les ambitions de la Chine.
Législatives dès le 31 octobre ?
Ayant fait consensus au sein du Parti libéral-démocrate (PLD, droite conservatrice), cet ancien ministre des Affaires étrangères (2012-2017), dont on vante les qualités d'écoute, devra conduire sa formation à des élections législatives devant être tenues en novembre au plus tard.
Même s'il risque de perdre des sièges, le PLD est toutefois quasiment assuré de les remporter de nouveau face à une opposition fragmentée.
L'élection à la Chambre basse du Parlement pourrait se tenir le 31 octobre, rapportaient lundi les médias nippons, soit un peu plus tôt que ce qui était attendu. M. Kishida risquerait ainsi de manquer le sommet du G20 de Rome, prévu les 30 et 31 octobre.
Fumio Kishida, un homme de consensus pour diriger le Japon
Cet élu de Hiroshima (ouest du Japon) à la Chambre basse du Parlement depuis 1993 - comme son père et son grand-père avant lui - accède au pouvoir à sa deuxième tentative: il avait échoué il y a un an face au Premier ministre sortant Yoshihide Suga qui a renoncé à se représenter en raison de son impopularité.
"Je veux relever les défis avec une forte détermination et regarder fermement vers l'avenir", a lancé lundi M. Kishida, qui devra accélérer la reprise économique du Japon en évitant une recrudescence de la crise sanitaire, le tout dans un contexte régional tendu marqué par les menaces nord-coréennes et les ambitions chinoises.
Selon Brad Glosserman, expert de la politique japonaise et professeur à l'université Tama de Tokyo interrogé par l'AFP, les forces dominantes au PLD ont estimé que M. Kishida était "un pari plus sûr en termes de stabilité" que son principal rival Taro Kono, plus populaire auprès des adhérents de base et du grand public mais perçu comme "moins malléable" par les barons du parti.
«Politique de générosité»
Fumio Kishida a été pendant cinq ans (2012-2017) le ministre des Affaires étrangères de l'ancien Premier ministre Shinzo Abe.
Fervent militant du désarmement nucléaire dans le monde, il a notamment contribué à la visite de Barack Obama à Hiroshima en 2016, la première d'un président américain en exercice dans cette ville détruite par la bombe atomique en 1945.
Cela ne l'empêche pas d'être favorable à la relance du nucléaire civil au Japon, dont l'usage est très limité depuis la catastrophe de Fukushima en 2011. En plus du redémarrage de réacteurs anciens, il plaide pour l'introduction de petits réacteurs modulaires.
Sur le plan économique, cet ancien banquier a promis un nouveau plan massif de relance budgétaire pour doper la reprise après le choc de la pandémie et a affiché sa volonté de réduire les inégalités sociales.
"Les gens veulent une politique de générosité", a lancé M. Kishida, qui se targue de disposer d'une grande capacité d'écoute.
La composition de son gouvernement, entre continuité avec l'ancienne équipe de M. Suga et nécessité de satisfaire les diverses factions du PLD, "reflète la volonté de M. Kishida de ne pas se faire d'ennemis" selon Junichi Makino, économiste chez SBMC Nikko Securities.
Fan de baseball
Sur les enjeux de société, M. Kishida apparaît très prudent. Il a ainsi dit qu'il n'avait "pas atteint le point d'accepter le mariage entre personnes de même sexe", qui n'est pas autorisé au Japon.
Il s'est aussi montré tiède sur la question sensible au Japon d'accorder le droit à des époux de ne pas prendre le même nom de famille, se contentant simplement d'appeler à un débat sur le sujet.
Lors de sa précédente campagne pour la présidence du PLD il y a un an, ce qui devait être une opération de communication avait viré au désastre: visiblement désireux de passer pour un Japonais "ordinaire", il avait publié sur Twitter une photo avec son épouse portant un tablier de cuisine et venant de lui servir son repas.
Enfant, il a vécu plusieurs années à New York avec sa famille, où il dit avoir été victime de racisme à l'école, une expérience difficile qui lui aurait donné selon lui le sens de la justice et de l'équité.
Il a échoué trois fois au concours d'entrée à la faculté de droit de la prestigieuse université de Tokyo ("Todai"), au grand dam de ses parents. Il a étudié à la place le droit à Waseda, une autre université tokyoïte réputée.
Grand amateur de baseball, le sport collectif le plus populaire du Japon qu'il a lui-même pratiqué dans sa jeunesse, il soutient sans surprise les Hiroshima Toyo Carp, le club de son fief familial et politique.
La composition du nouveau gouvernement a déjà fuité dans la presse locale. Elle révèle une grande continuité avec l'équipe sortante et l'influence de deux grandes factions du PLD: celle dirigée par l'ex-Premier ministre Shinzo Abe, 67 ans, et celle du ministre sortant des Finances, Taro Aso, 81 ans.
Le soutien des parlementaires de ces deux factions avait été décisif pour la nette victoire de M. Kishida au second tour de l'élection interne du PLD la semaine dernière.
Le prochain ministre des Finances, Shunichi Suzuki, 68 ans, est ainsi le beau-frère de Taro Aso et fait partie de sa faction au sein du PLD. Cet ancien ministre de l'Environnement et des Jeux olympiques est par ailleurs fils d'un Premier ministre, Zenko Suzuki, en poste au début des années 1980.
L'actuel chef de la diplomatie nippone, Toshimitsu Motegi, 65 ans, devrait conserver son poste, tout comme Nobuo Kishi à la Défense. Agé de 62 ans, M. Kishi est le frère cadet de Shinzo Abe.
«Ne pas se faire d'ennemis»
Quelques nouvelles têtes devraient aussi faire leur apparition à un poste de ministre. Et un nouveau portefeuille (Sécurité économique) doit être créé, reflétant les inquiétudes grandissantes des responsables nippons vis-à-vis de la concurrence technologique chinoise.
Trois femmes seulement devraient entrer au gouvernement. Parmi elles, Seiko Noda, 61 ans, arrivée quatrième et dernière à l'élection interne du PLD. Elle sera chargée de lutter contre la dénatalité et les inégalités hommes-femmes, ses thèmes de prédilection.
"Le gouvernement de M. Kishida vise un équilibre" entre les grandes factions et générations au sein du PLD. Cela "reflète la volonté de M. Kishida de ne pas se faire d'ennemis", a commenté dans une note Junichi Makino, économiste chez SBMC Nikko Securities.
M. Kishida a aussi remplacé l'équipe dirigeante du PLD en fin de semaine dernière. Le nouveau numéro deux du parti est Akira Amari, 72 ans, un ancien ministre de l'Economie très méfiant vis-à-vis de la Chine.