PARIS: Le Sénat dominé par l'opposition de droite a entamé mardi l'examen en première lecture du projet de loi "pour la confiance dans l'institution judiciaire", votant malgré des réserves une de ses mesures phare, qui autorise l'enregistrement et la diffusion des procès.
"Bien sûr, un texte de loi à lui tout seul, ne résoudra jamais d'un seul coup le problème de la défiance des Français en leur justice", a reconnu Eric Dupond-Moretti. "Mais les dispositions qui le composent portent toutes en elles de quoi susciter un +choc de confiance+ qu'il nous appartiendra de prolonger avec les Etats généraux qui s'ouvriront prochainement", a ajouté le garde des Sceaux.
Selon un sondage réalisé pour le Sénat, 53% des Français déclarent ne pas faire confiance à la justice.
Pour la corapporteure LR Agnès Canayer, le texte "affiche une ambition à laquelle on ne peut qu'adhérer", mais "le timing politique et législatif interroge".
Emmanuel Macron a annoncé début juin l'organisation d'Etats généraux de la justice, moins de deux semaines après l'adoption du projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale. Le Parlement est en outre saisi d'un autre projet de loi, visant à retoucher le régime de la responsabilité pénale.
La rapporteure est aussi dubitative sur "l'impact réel" d'un texte aux mesures "disparates" et souvent très techniques.
Les groupes CRCE à majorité communiste et écologiste ont d'ores et déjà indiqué qu'ils ne voteraient pas le projet de loi, qui, selon l'écologiste Guy Benarroche, "semble marquer une dérive vers une justice de plus en plus punitive et vindicative".
Dans ses mesures phare, le texte prévoit "l'enregistrement sonore ou audiovisuel" des audiences en vue de leur diffusion, "pour un motif d'intérêt public" une fois le dossier définitivement jugé. "Je ne souhaite pas faire de la +justice spectacle+", a assuré le ministre, défendant un objectif de transparence et de pédagogie.
Le Sénat a voté en début de soirée cette première disposition du texte, avec les modifications adoptées en commission pour apporter "des "garanties supplémentaires pour les justiciables". Les sénateurs ont ainsi défini ce qui relève d'un intérêt public.
Ces garanties ont toutefois été jugées insuffisantes à gauche. "Trop d'incertitudes subsistent", a estimé Jean-Pierre Sueur (PS). A droite, Philippe Bas (LR) a exprimé "les plus grandes réserves" sur la disposition, tandis que Gérard Longuet (LR) mettait en garde contre la "mémoire permanente" du numérique.
Amendement Mis et Thiennot
La question du secret professionnel de l'avocat a donné lieu à de vifs échanges entre élus de la majorité sénatoriale. Le Sénat a finalement retenu la proposition de la commission sur l'extension du secret professionnel à l'activité de conseil des avocats: il ne serait pas opposable en matière de fraude fiscale, de corruption et de trafic d'influence.
Une restriction qui a fait bondir Jean-Baptiste Blanc (LR). Le secret professionnel est "intouchable", "sacré", "s'entend comme un tout", a plaidé cet avocat de profession, ajoutant: "vous avez quasiment 70.000 avocats de France qui sont vent debout ce soir".
"Il n'y a pas de secret professionnel illimité dans notre pays", a relevé pour sa part le rapporteur centriste Philippe Bonnecarrère, soulignant que "personne ne discute le secret professionnel de l'avocat pour la défense des libertés".
Le ministre a lui simplement souhaité que "dans le cadre de la navette on puisse enfin trouver le meilleur des compromis".
Les sénateurs ont aussi supprimé la disposition relative à la présence de l'avocat en perquisition.
Le projet de loi limite par ailleurs à deux ans la durée des enquêtes préliminaires, avec la possibilité d'une prolongation d'un an. Le Sénat a voté cette mesure, tout en prévoyant un délai dérogatoire pour la lutte contre la fraude fiscale et la corruption.
La soirée a enfin été marquée par un moment d'émotion partagée, avec l'adoption d'un amendement du gouvernement ouvrant la voie à une possible révision de la très ancienne affaire Mis et Thiennot, qui remonte à 1947.
D'autres points forts restent à examiner d'ici jeudi, notamment la généralisation souhaitée par le gouvernement des cours criminelles départementales, jugée "prématurée" par les rapporteurs, qui proposent au contraire de prolonger l'expérimentation d'une année, jusqu'en mai 2023.