PARIS: L'horreur de Srebrenica vue à travers les yeux d'une mère impuissante: elle-même rescapée de la guerre, la Bosnienne Jasmila Zbanic, signe avec "La voix d'Aïda", en salles mercredi en France, un film sans concession sur la responsabilité occidentale dans ce massacre.
La réalisatrice de 46 ans, Ours d'or à Berlin en 2006 pour "Sarajevo mon Amour", a choisi de raconter l'histoire d'une interprète travaillant pour les Casques Bleus néerlandais censés protéger les civils bosniaques de Srebrenica, en 1995. Le film pointe la responsabilité des Nations Unies, qui étaient supposés avoir fait de cette ville, dont les Serbes s'étaient emparés, une zone protégée.
Srebrenica est la pire tuerie sur le sol européen depuis la Seconde guerre mondiale, avec plus de 8 000 hommes et garçons musulmans exécutés par les forces serbes de Bosnie. "On a toujours la liberté d'agir avec humanité", avait lancé Jasmila Zbanic à la Mostra de Venise où le film était présenté en 2020, estimant que "certains commandants (des Casques bleus) auraient pu changer les choses, même avec peu de moyens".
En 01H43, ce drame retrace le déroulé de la journée du massacre, le 11 juillet 1995, vu depuis le camp de l'ONU, et la façon dont les Serbes se jouent de la faiblesse des forces internationales.
L'interprète bosniaque, Aida, jouée par Jasna Djuric, doit traduire, sans trop savoir si elle doit y croire, les propos du chef des Casques bleus, Thom Karremans (joué par l'acteur belge Johan Heldenbergh), qui veut rassurer les civils placés sous leur protection. A mesure que les soldats serbes se rapprochent, elle va se lancer dans une quête de plus en plus désespérée pour sauver son mari et ses deux fils, réfugiés avec des milliers d'autres civils bosniaques.
Le principal artisan du massacre, le général serbe Ratko Mladic, obsédé par ses images de propagande, est interprété par Boris Isakovic. Mladic a été condamné à la prison à vie en 2017, pour génocide par la justice internationale, et notamment pour son rôle à Srebrenica. Le jugement a été confirmé en appel.
Les Casques bleus avaient "mission de protéger les civils avec leurs armes. Or, ils n'ont pas tiré une seule balle !" a dénoncé la réalisatrice, qui souligne la portée "universelle" de son film. Elle absout nombre de soldats sans grade, qu'elle a pu rencontrer et qui souffrent de troubles de stress post-traumatiques depuis les faits, mais dénonce les "préjugés" qu'avaient de nombreux soldats néerlandais à l'encontre des hommes musulmans de Bosnie.
Convaincue que si les faits se reproduisaient aujourd'hui, l'Europe "ne bougerait pas le petit doigt", Jasmila Zbanic assure que "La voix d'Aïda" n'est pas un pamphlet contre l'ONU, mais plutôt une exhortation à ce qu'elle "travaille mieux", avec plus de moyens.