JENINE: Le 6 septembre au matin, les portables se sont soudainement mis à vibrer à Jénine. Six hommes du coin venaient de réussir l'impensable: s'évader d'une prison israélienne, une "victoire" pour les Palestiniens, écornée depuis par l'arrestation des meneurs de la bande.
"La première heure après l'annonce de l'évasion, nous étions remplis d'espoir. Nous nous disions, +s'il n'a pas été encore arrêté, il restera peut-être libre à jamais+", souffle Abou Antoine, l'oncle de Zakaria al-Zoubeidi, le plus connu des six évadés, qui a été écroué pour des attaques anti-israéliennes.
Zakaria al-Zoubeidi s'était fait connaître lors de la seconde Intifada, le soulèvement palestinien du début des années 2000, comme le leader des brigades des martyrs d'Al-Aqsa, la branche armée du parti laïc Fatah, dans le camp de Jénine, l'un des bastions de la contestation armée.
A Jénine, les posters décatis des "martyrs" de l'Intifada collent toujours aux murs comme si le soulèvement ici ne s'était jamais affadi. Mais depuis quelques jours, les affiches de nouveaux "héros", bien vivants ceux-là, les côtoient.
Lorsque Zoubeidi et cinq membres du Jihad Islamique, autre grand groupe armé palestinien de Jénine, se sont évadés de la prison israélienne de Gilboa -- via un tunnel creusé sous l'évier d'une cellule et débouchant à l'extérieur du pénitencier dans un scénario quasi hollywoodien --, Jénine a explosé de joie.
Et comme les fugitifs n'ont pas été attrapés sur le champ, les espoirs ont pris de l'ampleur, certains à Jénine les imaginant traverser la frontière avec la Jordanie voisine, pour ensuite pousser en Syrie, pays ennemi d'Israël.
Mais vendredi soir, de premiers espoirs ont été douchés lorsque deux des fugitifs, Mahmoud Abdullah Ardah, et Yaqoub Qadri ont été arrêtés par la police israélienne à Nazareth, suivi le lendemain matin par Zakaria al-Zoubeidi et Mohammad Ardah.
Papi et la résistance
"Cette évasion était et demeure une victoire pour les Palestiniens, mais avec les arrestations la victoire n'est pas complète. C'est comme un match de foot, nous avons gagné, mais le score final est plus serré que nous l'espérions", témoigne l'oncle de Zakaria al-Zoubeidi.
Il raconte que le grand-père maternel s'était déjà échappé de la prison de Shata, ancêtre de celle de Gilboa. C'était à l'été 1958. Aujourd'hui, sur des groupes WhatsApp, des coupures de presse de l'époque, en arabe et en hébreu, s'échangent pour attester de la "gloire" familiale.
D'autres images tournent sur les réseaux. Celles photoshoppées des quatre fugitifs retrouvés, les présentant non pas abattus mais souriants pour bien tenter de marquer les esprits avec un mot: "intisar", la "victoire".
Agé de 20 ans, Ahmed, lui, s'époumone dans les rues de Jénine pour rendre gloire à ces prisonniers palestiniens "qui ont déjoué l'armée la plus technologique de tout le Moyen-Orient".
"Quand ils se sont évadés, j'étais euphorique (...) mais avec les arrestations nous devons lutter contre nous-mêmes pour maintenir ce sentiment vivant".
La chaîne du Jihad islamique, Falestine al-Youm (La Palestine aujourd'hui) diffuse en boucle des hommages aux évadés en mettant au premier-plan Mahmoud Abdullah Ardah, qui a passé les 25 dernières années de sa vie en prison pour son rôle dans des attaques contre l'Etat hébreu, et considéré comme l'architecte de l'évasion.
"Cinq jours de liberté"
Dans le village d'Arrabah, à la sortie de Jénine, une affiche géante de ce combattant orne la maison familiale. Dans le salon, sa mère, vêtue d'un hijab couleur muguet, a les yeux rivés sur Falestine al-Youm.
Lorsqu'il s'est évadé, "je dansais de joie (...) j'espérais qu'il ouvre la porte de la maison pour me voir", raconte-t-elle. Mais rien.
Un frère de Mahmoud Ardah, Mohammad - à ne pas confondre avec un évadé du même nom -, a été contacté par un officier du renseignement israélien.
"Il m'a dit: +si Mahmoud rentre à la maison, laisse-le embrasser sa mère, puis appelle-nous pour que nous allions l'arrêter+. J'ai répondu: +non, je ne vous appellerai pas+".
Mais la situation ne s'est pas présentée. Le fugitif a été arrêté sans résistance à Nazareth après cinq jours de cavale.
"Je n'arrivais pas à le croire, j'étais triste mais je me suis dit qu'au moins il était toujours en vie, et que ces cinq jours de liberté, c'est l'équivalent pour lui de 50 ans", confie Mohammad.