BEYROUTH: Le nouveau gouvernement libanais, annoncé vendredi par le Premier ministre Najib Mikati, aura la tâche colossale de redresser un pays plus que jamais aux abois.
Mais sa capacité à relever les innombrables défis est mise en doute par les analystes.
Quels sont les principaux défis?
Le prochain gouvernement aura la lourde tâche de freiner l'effondrement économique du pays, englué dans une crise inédite qualifiée par la Banque mondiale d'une des pires au monde depuis 1850.
"La première priorité du gouvernement sera d'endiguer l'effondrement", souligne Maha Yahya, directrice du centre Carnegie au Moyen-Orient.
A cette fin, une reprise des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir une aide financière paraît incontournable, estiment les analystes.
Entamées en mai 2020, ces pourparlers ont fini par dérailler deux mois plus tard sur fond de divisions, côté libanais, à propos des pertes à assumer par l'Etat, en défaut de paiement, et ses principaux créanciers - Banque centrale et banques commerciales notamment.
Autres défis de taille pour le gouvernement : la stabilisation de la monnaie nationale, la lutte contre l'hyperinflation et les nombreuses pénuries.
La monnaie locale a perdu plus de 90% de sa valeur face au billet vert depuis le début de la crise à l'automne 2019, provoquant une inflation à trois chiffres ayant plongé une grande partie de la population dans la pauvreté.
Selon l'Observatoire des crises à l'Université américaine de Beyrouth, le coût des aliments a bondi de 700% au cours des deux dernières années.
Aujourd'hui 78% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, contre moins de 30% avant la crise, selon l'ONU.
Le gouvernement va devoir aussi s'attaquer aux graves pénuries de médicaments, de carburant et de courant qui mettent en péril la santé publique et paralysent notamment l'activité des hôpitaux, commerces et industries.
Quels obstacles?
Les analystes mettent toutefois en doute la capacité du cabinet à relever tous ces défis.
Etroitement lié au processus de négociations avec le FMI et à l'harmonisation des chiffres sur les pertes réclamée par cette institution, l'audit de la Banque centrale est au point mort.
En septembre 2020, le pays avait annoncé le lancement de cet audit juricomptable, avant que le cabinet international Alvarez & Marsal ne jette l'éponge deux mois plus tard, la Banque centrale n'ayant fourni qu'une partie des informations et documents requis par le cabinet.
Pour l'économiste Mike Azar, un accord final avec le FMI impliquerait "deux réformes majeures: la restructuration du secteur bancaire et de la Banque centrale, et celle du secteur public, notamment de sa dette".
Or "la restructuration du secteur public a un impact sur les partis politiques, c'est la principale source de financement de leur système clientéliste. Comment vont-ils accepter cela ?", demande-t-il.
Quant à la stabilisation de la monnaie et des prix "il n'y a rien à faire en dehors de ces deux restructurations", estime l'économiste, pour qui la baisse de l'inflation et du taux de change en dépendent largement.
Des mesures orphelines "ne feront que déplacer l'impact et le coût ailleurs" au sein de l'économie, explique-t-il.
Pour Maha Yehya, l'un des principaux obstacles aux réformes réside dans la "mentalité" de partage des quote-parts entre les partis au pouvoir, qui ont encore une fois dominé la formation du gouvernement et retardé son accouchement.
"Ils peuvent utiliser les ministres au sein du gouvernement pour bloquer toute réforme qu'ils considèrent comme sapant leurs intérêts", dit-elle.
Et les législatives?
Au niveau politique, le gouvernement actuel devra rétablir une confiance totalement perdue dans l'Etat et préparer le terrain aux prochaines législatives, estiment les spécialistes.
Vendredi, le Premier ministre Najib Mikati a assuré que les législatives, prévues en mai 2022, se tiendraient dans les délais impartis.
Ces élections sont considérées comme cruciales en vue d'un début de renouvellement de l'élite politique, quasiment inchangée depuis la guerre civile (1975-1990).
Pour le politologue Michel Doueihy, ces promesses sont toutefois de la poudre aux yeux.
"La caste au pouvoir tente à travers ce gouvernement de reprendre son souffle" et de redorer son blason en vue des législatives.
Selon lui, les partis actuels sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir, y compris le report de cette échéance électorale clé.