L'exposition de peintures d'enfants sur la violence de masse au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée à Marseille (Mucem) est une leçon magistrale sur l'horreur de la guerre et l'impact de la violence sur les jeunes réfugiés.
Des enfants, dont certains de moins de 10 ans, y couchent sur papier des scènes dont aucun d’entre eux ne devrait jamais être témoin. Les peintures sont le reflet d’une chronologie historique choquante, vue à hauteur d’enfant. Elles retracent une série d’horreurs, notamment l'Holocauste, la guerre d'indépendance algérienne, la guerre en Syrie, le génocide au Rwanda et, bien sûr, le conflit en Afghanistan. Un enfant dessine même les décapitations brutales de Daech à Mossoul, ne laissant aucune place à l’imagination.
Les enfants représentent environ la moitié des réfugiés dans le monde. Ils formeront inévitablement une part importante des centaines de milliers d'Afghans déplacés qui parviendront à échapper à l'horreur du régime taliban. Ceux-ci pourront-ils imiter leurs prédécesseurs? Qui sait ce qu'ils peindront? Les signes d'un traumatisme aigu en cours sont évidents.
Cependant, les réfugiés sont plus que jamais considérés comme des indésirables pour de nombreux gouvernements. Ils sont une menace, un fardeau et une source potentielle de désordre social. A entendre certains politiciens, une invasion de sauterelles serait même préférable. Leur déshumanisation apparaît trop souvent comme délibérée et politiquement commode.
Alors que le nombre de réfugiés dans le monde a dépassé les 26 millions, les États n'ont pas réagi avec compassion, mais ont au contraire pris des mesures coercitives. Leur principale réponse? Construire de hauts murs sécurisés. Non seulement pour refouler tous les réfugiés et les migrants, mais aussi pour flatter un électorat qui ne veut plus de nouveaux étrangers sur son territoire, même des plus démunis.
L’exemple le plus parlant est celui de Donald Trump. Toute sa campagne présidentielle de 2016 reposait sur le slogan «America first», qui prévoyait la fermeture des frontières et la construction d'un mur massif à la frontière sud avec le Mexique. Trump avait affirmé que les murs «sauvent les bonnes personnes, tentées de faire un voyage très dangereux depuis d'autres pays». Cela n’était pas le premier à faire une telle déclaration mais la sienne, en tant que président américain, a eu un impact, qui a entraîné d’autres États à suivre la même voie.
De l'autre côté de l'Atlantique, l’expression de «forteresse Europe» est devenue une réalité. La Hongrie a érigé sa propre barrière de sécurité lors de l'afflux de réfugiés en 2015, lorsqu'environ 1,3 million de migrants sont entrés dans l'Union européenne (UE). La Grande-Bretagne a voté pour quitter l'UE, principalement pour réduire l'immigration, l'extrême droite faisant campagne en mettant en avant des histoires effrayantes de millions de migrants turcs se précipitant dans les bras du Royaume-Uni.
De nombreux migrants, y compris des réfugiés, meurent en essayant de franchir ces barrières, se heurtant notamment à la Méditerranée. L’opinion publique européenne semble avoir la conscience tranquille, alors que 930 personnes sont mortes cette année, en tentant de traverser la Méditerranée centrale. En effet, les responsables européens font pression sur les garde-côtes libyens pour qu’ils refoulent les migrants, tout en engageant eux-mêmes de moins en moins de moyens.
Une autre traversée est dangereuse: celle qui mène de l'Afrique de l'Ouest aux îles Canaries. En plein milieu de la crise afghane de 2021, la Grèce n'a pas tardé à achever son mur frontalier avec la Turquie, tout en élaborant une stratégie pour construire une barrière flottante, empêchant les réfugiés et les migrants d'atterrir sur les îles de la mer Égée. La Turquie construit un mur à la frontière iranienne, après en avoir bâti un le long de sa frontière de 4000 km avec la Syrie. Ses forces sont déployées pour renvoyer les réfugiés. Enfin, le Pakistan a presque achevé une barrière le long de sa frontière avec l'Afghanistan, mais les chances d'endiguer l'exode sont minces.
Cela ne fera probablement pas renoncer les réfugiés afghans. Selon toute vraisemblance, ils ne seront pas découragés par le trajet de 4000 km, à travers le Pakistan, l'Iran et la Turquie, qui les mènera jusqu'aux frontières de l'UE. Si la route migratoire grecque n'est pas envisageable, beaucoup tenteront d’emprunter l’itinéraire plus long des Balkans.
Les responsables européens sont catégoriques: ils n'ouvriront pas leurs frontières. Tout comme l'UE s'attendait à ce que le Liban, la Jordanie et la Turquie accueillent des millions de réfugiés syriens, ce sera à nouveau au tour du Pakistan, de l'Iran et du Tadjikistan, d’assumer le rôle de pays d’accueil. Des nations qui dénoncent le fardeau qu’elles portent, alors que les États les plus riches lèvent à peine le petit doigt. La France et l'Allemagne sont réticents à accueillir des réfugiés afghans, tandis que le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a déclaré sans ambages: «Nous devons expulser le plus longtemps possible». La commissaire européenne, Ylva Julia Margareta Johansson, n’y est pas non plus allée par quatre chemins. «Nous ne devons pas attendre que les personnes arrivent aux frontières extérieures de l'UE. Ce n'est pas une solution. Il faut les empêcher de se diriger vers l'UE par des routes dangereuses, irrégulières et incontrôlées gérées par des passeurs», a-t-elle déclaré.
L'excuse du trafic d'êtres humains est fréquemment invoquée. Pourtant, ériger plus de murs et de barrières risque de donner du pouvoir aux passeurs, qui se nourrissent de la misère humaine. Si les réfugiés et les migrants sont incapables de trouver un itinéraire facile, leur désespoir les rend encore plus vulnérables aux instincts prédateurs de ces gangs. Plus le risque est élevé, plus ces derniers s’enrichissent. Les réfugiés seront donc exposés à de plus grands risques, et les décès vont certainement augmenter.
Les réfugiés sont instrumentalisés et maltraités, comme l’a encore démontré la récente polémique avec la Biélorussie. La Pologne a commencé à construire un mur à sa frontière, accusant le régime de Loukachenko et la Russie d'armer les réfugiés du Moyen-Orient et d'Afghanistan, et de les envoyer en Pologne, en représailles des sanctions européennes contre la Biélorussie. La même scène a eu lieu à la frontière biélorusse avec la Lituanie et la Lettonie. Une fois de plus, des civils vulnérables subissent de plein fouet des luttes d’influence et de pouvoir.
Les murs ne fonctionnent pas. Ils ne sont qu'un obstacle temporaire. Pour chaque mur, il y a un tunnel, une rampe ou une échelle permettant le passage.
Chris Doyle
Les murs ne fonctionnent pas. Ils ne sont qu'un obstacle temporaire. Pour chaque mur, il y a un tunnel, une rampe ou une échelle, permettant le passage. Il suffit de se pencher sur la situation en Israël. L’État hébreu a construit un mur de séparation avec la Cisjordanie, le plus cher de tous les temps, qui n’empêche pourtant pas que les Palestiniens de se rendre quotidiennement en Israël. Les murs causent souvent des dommages environnementaux, et peuvent servir de barrages, qui provoquent par exemple des inondations. Surtout, ils divisent et fragmentent, séparant les populations les unes des autres. Les murs risquent de freiner non seulement le passage des migrants, mais aussi de limiter considérablement toutes les interactions humaines au-delà des frontières.
Ces images obsédantes d'enfants des zones de conflit en sont le résultat. Le problème, ce ne sont pas les réfugiés, mais les guerres, l'extrémisme et la violence. C'est la terreur qui les pousse à fuir leurs foyers et leurs pays, et à tout abandonner. Les puissances riches ne peuvent pas fermer les yeux, surtout lorsqu'elles partagent la responsabilité d'avoir fomenté, provoqué et alimenté ces conflits, comme cela s'est produit en Afghanistan.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (CAABU), basé à Londres.
Twitter : @Doylech
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.