PARIS: Quelle sera l'attitude de Salah Abdeslam ? Le comportement du principal accusé, très vindicatif mercredi, sera suivi avec attention jeudi devant la cour d'assises spéciale de Paris, lors de la deuxième journée du procès des attentats du 13-Novembre.
L'audience de jeudi doit comme celle de la veille être consacrée uniquement à l'appel des parties civiles, mais la cour n'est pas à l'abri d'un nouvel éclat de la part de celui vers lequel tous les regards seront encore tournés.
A l'ouverture de ce procès "historique" et "hors norme", Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés à Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, a affirmé qu'il avait "délaissé toute profession pour devenir un combattant de l'Etat islamique".
Le Franco-Marocain de 31 ans, qui s'était montré plutôt mutique depuis son arrestation en Belgique en mars 2016, n'a pas hésité à prendre la parole... même quand il n'y était pas invité.
Le bref malaise d'un de ses coaccusés - au total 20 personnes sont jugées pendant neuf mois - a été l'occasion pour Salah Abdeslam de se lancer dans une vindicte à l'encontre de la justice française.
Debout, le masque enlevé, haussant le ton et l'index pointé vers la cour composée uniquement de magistrats professionnels, il lance que les accusés sont "traités comme des chiens".
"Ici c'est très beau, il y a des écran plats, de la clim mais là-bas (en prison) on est maltraités, on est comme des chiens", a éructé Abdeslam, accusé de complicités de crimes terroristes et qui encourt la perpétuité.
"Ca fait six ans que je suis traité comme un chien. Je ne me suis jamais plaint parce que je sais qu'après on sera ressuscité et que vous devrez rendre des comptes", a-t-il ajouté.
Paroles d'avocats, au premier jour du procès du 13-Novembre
Leurs clients sont "en quête de vérité" ou veulent "s'expliquer": paroles d'avocats des deux côtés du prétoire mercredi, en marge du procès historique des attentats du 13 Novembre 2015, qui s'ouvre à Paris.
«Quête de vérité»
"Il y a vraie quête de vérité", estime Delphine Meillet, avocate d'un couple et de leur amie, présents au Bataclan.
"En discutant les uns, les autres, ils se rendent compte qu’ils ont chacun une version différente, qu’ils n’ont pas vécu la même chose (...) Ce qu’il recherchent à la fin de cette audience, c’est savoir exactement comment se sont passées les choses, de manière factuelle, pour les confronter à leur propre ressenti."
"Ils n’ont pas envie, en tout cas, d’être considérés comme des victimes, que toute leur vie on leur rappelle qu’ils sont victimes d'une situation aussi dramatique que celle-ci."
«Être entendus»
Me Laurent Ivaldi représente les proches d'une jeune femme décédée dans la salle de spectacles. Sa sœur veut témoigner "de sa douleur, de son quotidien".
Dans cette famille, il y a "le désir de justice, l'incompréhension de perdre son enfant qui assistait à un concert". "Ce qu'ils veulent, c'est être entendus et surtout qu'on sache qui était cette jeune femme, qui aimait la vie, la photo, la musique, les terrasses de Paris".
Des «actes monstrueux» et «des hommes»
"Les actes criminels qui sont reprochés aux accusés sont monstrueux, mais les hommes qui sont jugés sont des hommes", déclare Olivier Morice, avocat de 40 parties civiles. "Il leur appartient d'expliquer la nature de ces actes monstrueux. S'ils refusent de s'expliquer, ils resteront enfermés dans leur lâcheté".
"Les familles auront bien évidemment la parole qui leur sera donnée. Nous sommes aussi là pour porter cette parole, parce que certaines personnes qui ont été blessées ou qui ont perdu un proche ne souhaitent pas nécessairement s'exprimer. Pourquoi ? Parce que la souffrance est indicible, elle est inexprimable, mais ce qu'elles attendent, c'est une justice particulièrement ferme."
«Psychologiquement extrêmement dur»
"Je ne suis pas sûr qu'ils attendent grand-chose de (Salah) Abdeslam et des autres accusés. Il ne faut pas venir avec trop d'attentes à ce genre d'audiences", prévient Me Abed Bendjador, conseil d'un Argentin et d'un Espagnol d'une quarantaine d'années, présents au Bataclan.
Ses clients seront absents "les premiers jours parce qu'il y a cette forme d'appréhension - toute l'organisation, la sécurité, le regard posé sur eux - et psychologiquement, c'est extrêmement dur".
"Ils souhaitent laisser passer quelques semaines d'audience avant d'envisager de se présenter, voire de prendre la parole".
«Pas un procès d'exception»
Me Adrien Sorrentino est l'avocat de l'accusé Abdellah Chouaa, Belgo-Marocain de 40 ans, qui comparaît libre sous contrôle judiciaire, soupçonné d'avoir apporté un soutien logistique aux auteurs.
Cet accusé est "impatient" d'être entendu pour "pouvoir donner sa vérité, être compris, entendu, acquitté", dit l'avocat.
"C’est un procès dont l’organisation est exceptionnelle, mais ce n’est pas un procès d'exception."
«Que chacun ait sa place»
"L'architecture de ce procès permet que toute la première partie soit consacrée à l'écoute des victimes, c'est fondamental", souligne Me Xavier Nogueras, avocat de Mohammed Amri, chauffeur de Salah Abdeslam le soir des attentats. "C'est peut-être long mais je pense que c'est bien organisé pour que tout monde puisse avoir sa place dans ce débat".
Son client "veut parler, il veut s'expliquer et contester cette participation à cette association de malfaiteurs terroriste".
"La défense de tous, c'est un concept absolument non-négociable", soutient-il. Sinon, "vous déséquilibrez le procès. Et même la réponse qui sera rendue pour les victimes ne sera pas satisfaisante".
«Crainte que l'excès remplace la raison»
Marie Violleau assure la défense de Mohamed Abrini, "l'homme au chapeau" de l'aéroport de Bruxelles, et "aborde ce procès dans le sérieux, le calme et la sérénité".
"Il est acquis que tout individu, quoi qu’il lui soit reproché, doit être défendu et que l’institution judiciaire française a les moyens de répondre sereinement et justement à tout comportement humain."
"Ma seule crainte est que l’excès remplace la raison. Nous serons particulièrement attentifs à cela".
«Tribunal démocratique»
Imperturbable, le président de la cour Jean-Louis Périès ne s'est pas laissé impressionner par les provocations de l'accusé qui n'a reçu aucun écho parmi les dix autres hommes présents dans le box à ses côtés.
"Ici on n'est pas dans un tribunal ecclésiastique, on est dans un tribunal démocratique", met au point le magistrat.
En tout début d'audience mercredi, alors que la cour lui demandait de décliner son identité, Abdeslam avait déclaré qu'"il n'y a pas de divinité à part Allah et que Mohammed est son messager".
Jeudi, la cour doit poursuivre l'appel des parties civiles, avant l'appel des témoins et la lecture du résumé du dossier vendredi. Les premiers témoins ne sont pas attendus à la barre avant lundi.
Pendant neuf mois - la plus grande audience criminelle jamais organisée en France -, la cour va se replonger dans ce titanesque dossier. Il est inédit par son ampleur - 542 tomes -, par son nombre de parties civiles - au moins 1 800 -, et par sa charge émotionnelle.
Les témoignages de rescapés et proches des victimes débuteront le 28 septembre, pour cinq semaines.
Dignité de la justice
Avant d'ouvrir les débats mercredi, de façon inhabituelle, le président de la cour a solennellement tenu à rappeler les règles d'un procès pénal, et notamment "le respect des droits de chacun, à commencer par les droits de la défense", invitant l'ensemble des parties à "garder à l'esprit cette finalité (...) de façon à maintenir la justice dans sa dignité".
Le vendredi 13 novembre 2015, la nuit de terreur avait débuté à 21H16: trois kamikazes se font exploser aux portes du Stade de France, pendant une rencontre amicale de football entre la France et l'Allemagne.
Au cœur de Paris, deux commandos de trois hommes mitraillent à l'arme de guerre des terrasses de cafés et de restaurants et tirent sur la foule d'un concert au Bataclan, où l'assaut sera donné peu après minuit.
Six ans après cette nuit de cauchemar, onze accusés sont dans le box et trois comparaissent libres sous contrôle judiciaire.
Six autres accusés sont jugés en leur absence dont le donneur d'ordres et vétéran du djihad Oussama Atar, et les "voix" françaises de la revendication de l'EI, les frères Fabien et Jean-Michel Clain, tous trois présumés morts en Syrie.