ALEP: Chaque soir, sur les coups de 18H00, le bourdonnement ambiant des machines dans les quartiers industriels d'Alep en Syrie est abruptement remplacé par un silence assourdissant. Le courant électrique vient d'être coupé.
Entrepreneurs et ouvriers plient alors bagages et ferment leurs ateliers, qui, avant le déclenchement de la guerre en 2011, étaient ouverts jour et nuit.
Les canons se sont peut-être tus il y a cinq ans dans cette ancienne capitale économique de la Syrie, ravagée par les combats entre soldats et rebelles, mais les retombées se font toujours ressentir.
"Je ne peux pas dire que la guerre est terminée tant que mes machines ne fonctionnent pas 24/24", affirme à l'AFP Mahmoud Majkini, 31 ans, dans sa fabrique spécialisée dans la production de gaze à usage médical, dans le quartier de Karm al-Katerji.
Le conflit a chamboulé le secteur de l'énergie; les plus importants champs pétroliers et gaziers du pays situés dans la région autonome kurde (nord) échappent toujours au contrôle du régime syrien et de nombreuses centrales électriques et gazoducs ont été endommagés par les violences.
Et les sanctions américaines et européennes imposées à la Syrie compliquent l'importation de dérivés pétroliers.
Conséquence: depuis des années, les zones contrôlées par le régime subissent des rationnements draconiens, ayant atteint ces derniers mois une vingtaine d'heures par jour dans certaines régions.
La fabrique de Mahmoud Majkini, où seulement quatre machines à coudre sur huit fonctionnent faute de main-d'œuvre, est située au 3e étage d'un immeuble portant encore les stigmates de la guerre.
La façade externe est toujours détruite, faisant encourir aux employés le risque d'une chute hasardeuse.
"Si nous avions plus d'électricité, nous aurions pu par exemple reconstruire le mur", regrette le jeune industriel. "Nous travaillons aujourd'hui (comme si nous étions) proche de la mort."
«De zéro»
Dans les zones industrielles d'Alep (nord), le courant est fourni quatre jours par semaine pendant 12 heures, mais il est souvent coupé. Les jours restants, il est fourni pendant quelques heures, forçant les industriels à recourir à des générateurs fonctionnant au diesel, devenu cher et monnaie rare, ou à cesser leur activité.
Dans les quartiers résidentiels, les habitants dépendent eux des générateurs privés en raison de rationnements plus longs.
Avant la guerre, les zones industrielles pullulaient dans la ville d'Alep, qui a été le théâtre de batailles féroces de 2012 jusqu'à sa reprise par le régime en 2016.
Les combats ont condamné des centaines d'usines et d'ateliers à l'arrêt. Certains ont repris leurs activités, sans jamais toutefois atteindre leur vitesse de croisière, faute de courant électrique suffisant.
"Nous avons commencé en 2017 les travaux de réhabilitation du réseau électrique", dit à l'AFP le directeur de la compagnie d'électricité locale, Mohammad al-Saleh. Mais en raison des destructions "nous n'avons trouvé aucun connecteur, poteau ou centrale électrique dans les quartiers est. Nous repartons de zéro".
En février, la compagnie publique a annoncé, avec le soutien de l'Iran, allié du régime syrien, le lancement d'un projet de réhabilitation de la centrale thermique de la province d'Alep, l'une des principales du pays, toujours hors service.
Damas et Téhéran ont signé en 2017 un accord de coopération énergétique, incluant la réhabilitation de cette centrale ainsi que la construction d'une centrale à Lattaquié (ouest), et l'entretien et la réhabilitation d'installations électriques ailleurs dans le pays.
Dans le quartier de Karm al-Katerji, Abdel Salam Mazyek, 52 ans, a rouvert sa petite fabrique il y a trois ans.
"Avant nous travaillions sans relâche", dit cet industriel du textile. Mais aujourd'hui, il travaille quatre jours par semaine pour profiter de "chaque minute de courant" et n'emploie que deux ouvriers.
Selon le vice-directeur de la Chambre d'industrie d'Alep, Moustafa Kawaya, la ville comptait 35 000 usines avant le conflit.
Depuis la reconquête d'Alep, environ 19 000 usines et ateliers ont redémarré mais la production globale reste inférieure de 50% par rapport à avant 2011, dit-il.
Du balcon de son atelier, qui surplombe les destructions, Abdel Salam Mazyek dit espérer un retour à une stabilité "totale".
"L'industriel alépin est connu pour son amour du travail", mais "ce qui nous manque aujourd'hui, c'est l'électricité".