BASE AMERICAINE DE GUANTANAMO: Le procès du cerveau présumé du 11-Septembre, Khalid Sheikh Mohammed, et de quatre accusés reprend mardi, mais son issue semble encore bien lointaine, alors que l'Amérique s'apprête à se recueillir, vingt ans après les attaques.
Les cinq hommes, emprisonnés depuis quinze ans dans la prison de la base navale américaine de Guantanamo, au sud-est de Cuba, n'avaient plus comparu depuis le début de l'année 2019, avant que la pandémie de Covid-19 ne mette la procédure à l'arrêt.
Leur procès, qui relève d'une justice militaire d'exception, devrait reprendre comme il s'est arrêté, avec une défense invoquant des actes de tortures, lorsque les accusés étaient aux mains de la CIA, pour faire invalider la plupart des preuves avancées par les autorités américaines.
La procédure est menée par un nouveau magistrat militaire, le colonel Matthew McCall, qui est le huitième à s'en emparer.
L'officier a fait comprendre qu'il ne se précipiterait pas, en décidant que l'audience mardi serait consacrée à ses propres qualifications. Il entend passer le reste de la semaine essentiellement en réunions avec l'accusation et la défense.
Et il pourrait s'écouler encore des mois, voire plus d'une année, avant que le procès n'entre dans sa phase vraiment décisive, au vu des très nombreux recours déposés par les avocats de la défense pour obtenir des pièces.
Procès du 11-Septembre à Guantanamo: les accusés
Les cinq hommes sont inculpés de complot, de terrorisme et du meurtre de 2.976 personnes dans les attentats, des chefs passibles de la peine de mort.
Khalid Sheikh Mohammed
Il est considéré comme le cerveau du 11-Septembre. Pakistanais élevé au Koweït, le quinquagénaire aurait suggéré l'idée de faire s'écraser des avions au chef d'Al-Qaïda, Oussama ben Laden, en 1996.
Diplômé d'une université américaine, il travaillait pour le gouvernement du Qatar au début des années 1990 lorsqu'il a commencé à planifier des attaques avec son neveu Ramzi Yousef, qui a fait exploser une bombe dans le World Trade Center à New York en 1993.
Quand Oussama ben Laden a finalement donné son feu vert au plan du 11-Septembre, c'est Khalid Sheikh Mohammed qui a été mis aux manettes. Il a été capturé à Rawalpindi, au Pakistan, en mars 2003 et emmené par la CIA sur des "sites noirs" en Afghanistan puis en Pologne pour y être interrogé. Il a notamment été soumis 183 fois au "waterboarding" (noyades simulées) en quatre semaines.
En septembre 2006, il a été envoyé à Guantanamo. Un an plus tard, il a déclaré lors d'une audience à huis clos qu'il était responsable non seulement des attentats du 11-Septembre, mais aussi des attentats liés à Al-Qaïda à Bali et au Kenya et du meurtre du journaliste américain Daniel Pearl.
Ramzi Bin al-Shibh
Formé dans un camp d'Al-Qaïda en Afghanistan avec des pirates de l'air du 11-Septembre en 1999, ce Yéménite de 49 ans est devenu membre de la "cellule de Hambourg" qui comprenait le principal pirate de l'air Mohammed Atta. Mais il n'a pas obtenu de visa américain et n'a pas pu prendre part aux attaques. Il a donc aidé à la coordination entre la cellule et Al-Qaïda.
Capturé à Karachi, au Pakistan, le 11 septembre 2002, il a été, au cours des quatre années suivantes, déplacé à plusieurs reprises entre les "sites noirs" de la CIA, subissant interrogatoires et torture. Transféré à Guantanamo en septembre 2006, ses avocats affirment qu'il souffre toujours des effets de la torture.
Walid ben Attash
Originaire du yémen, Walid ben Attash, 43 ans, est qualifié de "lieutenant" d'Al-Qaïda. Il aurait notamment aidé Khaled Sheikh Mohammed à planifier les attentats du 11-Septembre.
Il s'est rendu en Afghanistan et au Tadjikistan au début des années 1990 pour combattre les Soviétiques et a perdu une partie de sa jambe droite en Afghanistan en 1996.
En 1999, il a dirigé un cours de combat dans un camp d'entraînement d'Al-Qaïda qui comprenait certains pirates de l'air. En amont du 11-Septembre, il a pris des vols sur des compagnies américaines à travers l'Asie du Sud-Est pour en tester la sécurité .
Il a également un frère à Guantanamo, qui n'a pas été inculpé ni directement impliqué dans le complot du 11-Septembre.
Ammar al Baluchi, ou Ali Abdul Aziz Ali
Pakistanais originaire du Koweït, Ammar al Baluchi est le neveu de Khalid Sheikh Mohammed. Il aurait préparé les pirates de l'air, leur aurait appris comment se mouvoir dans la culture occidentale et aurait aidé à planifier les voyages et à transférer de l'argent pour l'opération. Il a été capturé à Rawalpindi (Pakistan) en avril 2003. Interrogé et torturé par la CIA, il est resté détenu par l'agence américaine pendant 40 mois avant d'être livré à Guantanamo. Ses avocats disent qu'il a été projeté à plusieurs reprises contre un mur lors des interrogatoires, ce qui lui a causé d'importantes lésions cérébrales.
Mustafa al Hawsawi
Ce ressortissant saoudien de 53 ans aurait aidé les pirates de l'air du 11-Septembre à organiser leur voyage et à gérer leurs transferts d'argent, en collaboration avec Baluchi. Capturé à Rawalpindi en mars 2003, il a subi de violents interrogatoires de la CIA et a ensuite été détenu sur des "sites noirs" jusqu'à son envoi à Guantanamo en septembre 2006. Ses avocats affirment qu'il a des lésions au rectum en raison de la torture.
L'un des avocats de la défense, James Connell, a même assuré qu'il ne "savait pas" si ce procès irait un jour jusqu'à son terme.
La défense fait valoir que les cinq accusés - Khalid Sheikh Mohammed, Ammar al-Baluchi, Walid bin Attash, Ramzi bin al-Shibh, et Mustafa al Hawsawi - portent encore les séquelles des tortures infligées par la CIA, pendant leur détention dans les prisons secrètes de l'agence de renseignements entre 2002 et 2006.
Torture
Sans compter, selon leurs avocats, l'effet de quinze années d'emprisonnement dans des conditions de grand isolement.
Les cinq hommes, accusés de "meurtre" et d'"actes terroristes", comparaîtront dans une salle d'audience sous haute sécurité, entourée de grillages avec barbelés. Ils risquent la peine de mort.
Face à eux, des familles des 2.976 personnes dont la mort leur est imputée, et des journalistes.
La reprise du procès prend une répercussion toute particulière, peu avant les commémorations des attaques qui, il y a vingt ans, ont frappé les Etats-Unis.
Pour l'accusation, même si les interrogatoires de la CIA devaient être invalidés, une condamnation des cinq hommes ne fait aucun doute.
Les procureurs assurent que les accusés ont fourni des preuves solides pendant les interrogatoires menés cette fois par le FBI, la police fédérale, en 2007 après leur arrivée à Guantanamo.
Pas crédible, avance la défense, pour qui le FBI a participé aux actes de torture de la CIA et usé lui aussi de techniques d'intimidation, ce qui rend ses interrogatoires tout aussi douteux.
"N'ayez aucune illusion, ces hommes ont été emmenés à Guatanamo pour couvrir des actes de torture", plutôt que d'être présentés à la justice américaine ordinaire, a dit James Connell, qui défend Ammar al-Baluchi.
La défense réclame des montagnes de documents confidentiels que le gouvernement refuse jusqu'ici de livrer, que cela concerne le programme de torture, les conditions de détention à Guantanamo ou la santé des accusés.
Elle veut aussi entendre des dizaines de témoins supplémentaires, en plus des 12 ayant déjà défilé devant la juridiction militaire, notamment deux hommes ayant supervisé le programme d'interrogatoires de la CIA.
Alka Pradhan, une autre avocate de la défense, rejette la responsabilité des longs délais sur le gouvernement américain, rappelant qu'il a fallu six ans pour admettre que le FBI avait participé au programme de torture de la CIA.
"Cette affaire vous épuise", a-t-elle dit. "Ils retiennent des pièces qu'il serait normal de partager dans une procédure" ordinaire.