TUNIS: Dans le dossier tunisien, les États-Unis sont soumis à une double pression. D’un côté, celle du parti islamiste, qui tente depuis le 25 juillet de les convaincre de considérer le coup de force du président Saïed ce jour-là comme un coup d’État et de contraindre le chef de l’État tunisien à lever le gel du Parlement. De l’autre, celle de la société civile, dont sept représentants ont tenu à rencontrer l’ambassadeur américain à Tunis afin de contrecarrer la propagande du parti de Rached Ghannouchi.
«L’ambassadeur [Donald] Blome a rencontré hier des intellectuels et des activistes de la société civile et politique pour recueillir leur vision de l’avenir politique de la Tunisie. L’ambassadeur a fait savoir que les États-Unis apportent leur soutien au peuple tunisien et qu’ils défendent un gouvernement réactif dans le cadre de la démocratie tunisienne.» C’est par ce communiqué laconique que, le 25 août, l’ambassade américaine à Tunis a annoncé la rencontre, la veille, du chef de la mission diplomatique américaine avec un groupe de personnalités tunisiennes d’horizons divers.
Deux Tunisies
L’ambassade a été sollicitée afin qu’elle révèle le contenu de cet échange, mais elle s’y est refusée: «Nous n’avons pas l’habitude de dévoiler les détails des rencontres de l’ambassadeur», a-t-elle fait savoir. Le groupe de sept personnes qui avait demandé à rencontrer le diplomate américain comptait un philosophe, un médecin, un universitaire, un artiste, des gens d'affaires, tous activistes de la société civile.
D’après l’un d’eux, la rencontre, qui a duré deux heures, a été mise à profit par les représentants de la société civile tunisienne moderniste et démocrate – donc hostiles au parti islamiste – pour contrecarrer la propagande que Ghannouchi mène en Tunisie et à l’étranger au sujet de la situation dans le pays depuis le coup de force du 25 juillet (1).
L’un de ces activistes, le docteur Rafik Boujdaria, chef des services d'urgence de l'hôpital Abderrahmen-Mami à Ariana, au nord de la capitale, Tunis, confirme ces informations dans un communiqué adressé «à l’opinion publique nationale» et publié le 27 août.
On apprend en outre que le groupe a décidé, dans le droit fil de sa lettre ouverte aux Tunisiens et à l’opinion internationale du 2 août dernier, d’assigner plusieurs objectifs à sa campagne. Il s’agit de «réaffirmer, d’un côté, notre soutien aux mesures du 25 juillet (1) et, de l’autre, notre attachement à la liberté et à la démocratie».
«Nous avons expliqué que cette action répondait aux attentes des Tunisiens, qui en ont assez de ce qu’ils endurent depuis dix ans», insiste un autre participant.
Le communiqué indique qu’il importe de «faire porter la responsabilité de la crise que vit la Tunisie au système politique construit et mené par Ennahdha depuis 2011, qui a mené le pays à un État défaillant».
Préservation des acquis de liberté démocratique
Lors de la rencontre du 24 août, le groupe a également tenté de convaincre le diplomate américain que «la démocratie consacrée par le système politique gelé est une fausse démocratie». Il a réitéré sa «volonté de [voir] reprendre le processus démocratique sur des bases qui respectent l’indépendance de la décision nationale, la légitimité des choix populaires et l’achèvement de la construction démocratique».
Enfin et surtout, les représentants de la société civile se sont employés à «réfuter les allégations du dénommé Radwan Masmoudi». Ce dirigeant du parti islamiste est le fondateur du Centre pour l’étude de l’islam et de la démocratie, un think tank qui possède des bureaux à Tunis et à Washington. Depuis le 25 juillet, il fait le siège de l’administration et du Congrès américain afin de les convaincre de considérer l’opération du président Saïed comme un coup d’État et de contraindre le chef de l’État tunisien à lever le gel du Parlement.
De son côté, l’ambassadeur Blome aurait, selon une de nos sources, «bien compris [les] motivations» de ses interlocuteurs. Il a «insisté sur un retour des institutions, sur la préservation des acquis de liberté démocratique et sur les fondement de l'État». Il a en outre déclaré qu’«une feuille de route est vivement attendue» par les pays amis de la Tunisie lassés par «le manque de visibilité» actuel, pour reprendre les mots de l’un des interlocuteurs du diplomate américain.