L’administration Biden est sous le feu des critiques; on l’accuse d’avoir mal géré le retrait précipité des troupes américaines d’Afghanistan. Cependant, Joe Biden est loin d’être le premier président à prendre une mauvaise décision qui entraîne de fortes répercussions sur les États-Unis. Tout le monde prend des décisions erronées. L’ironie veut que, dans un pays qui met en avant son équilibre des pouvoirs, personne n’est vraiment en mesure de dire: «Non, monsieur le président, vous ne pouvez pas faire cela.»
La semaine dernière, au Congrès, l’annonce faite par un représentant républicain a fait l’effet d’une bombe. Selon lui, le retrait chaotique aurait doté les talibans d’armes d’une valeur totale de 85 milliards de dollars (environ 72 milliards d’euros). Bien qu’il n’y ait pas suffisamment de preuves pour confirmer que toutes ces armes sont désormais sous le contrôle des talibans – étant donné que la somme en question a été dépensée au cours des deux dernières décennies et qu’elle ne concernait pas seulement les équipements –, il est probable que le groupe ait mis la main sur une bonne partie de la puissance de feu fournie par les États-Unis et financée par les contribuables américains.
Le retrait des troupes d’Afghanistan et la prise de pouvoir rapide du pays par les talibans montrent l’ampleur de l’erreur commise par le président. Le départ des forces américaines laisse présager un avenir sinistre, indiquent les rapports des services de renseignement. Joe Biden avait pourtant déclaré, le 8 juillet dernier, que le gouvernement afghan ne serait pas renversé et que la situation n’était nullement comparable à la fin de la guerre du Vietnam. C’était un moyen de manipuler les rapports en vue d’apaiser les craintes du peuple et de justifier sa décision. Biden n’est pas le premier à le faire et il ne sera certainement pas le dernier.
Ce qui a motivé la guerre d’Irak – cause majeure des calamités qui frappent actuellement la région – est également la conséquence de manipulations des rapports des services de renseignement. Un rapport de la commission du Sénat sur le renseignement qui date de 2008 montre que les allégations de la Maison Blanche associant l’Irak au mouvement Al-Qaïda «ne sont pas soutenues par les services de renseignement». En outre, avant la guerre, le département d’État et le ministère de l’Énergie ont émis des doutes sur le fait que l’Irak possède des armes de destruction massive. Leur désaccord n’a cependant jamais été pris au sérieux.
La guerre en Irak est un exemple classique du détournement des rapports de l’intelligence américaine par la Maison Blanche. Il n’y avait pas suffisamment de preuves pour confirmer que Saddam Hussein était en possession d’armes de destruction massive, mais l’administration Bush a utilisé des bribes d’informations pour justifier l’invasion de 2003. Elle a choisi ces prétendues armes de destruction massive parce qu’elles se sont vite imposées comme un sujet susceptible de générer un consensus général.
«La guerre en Irak est un exemple classique du détournement des rapports de l’intelligence américaine par la Maison Blanche.»
Dania Koleilat Khatib
Aux États-Unis, le pays des institutions et de la séparation des pouvoirs, nul n’est en mesure de concentrer beaucoup de contrôle et, par conséquent, personne ne peut usurper le pouvoir. Néanmoins, le système accorde au président une très grande puissance décisionnelle. Il est à la fois le chef du pouvoir exécutif et le commandant en chef de l’armée. Plus une personne possède d’autorité, plus les conséquences de la moindre erreur sont grandes.
Dans une démocratie, l’autorité militaire est subordonnée au pouvoir civil. Cependant, compte tenu des considérations qui devraient orienter les décisions politiques, l’armée, les services de renseignement et les bureaucrates en général devraient avoir davantage leur mot à dire, notamment lorsqu’il s’agit de décisions qui concernent la guerre, la paix et les intérêts nationaux. De telles décisions auront des répercussions pendant de nombreuses années, alors que le président, lui, ne sera jamais au pouvoir très longtemps. Si les grandes décisions étaient prises par l’armée et par les services de renseignement, elles resteraient à l’abri des facteurs politiques qui influent sur le processus décisionnel des présidents. Ces derniers sont souvent poussés dans une certaine direction pour des raisons de popularité ou sous l’influence de groupes d’intérêt.
La politique et le populisme posent un grave problème. Lorsque le président prend ses fonctions, ses promesses de campagne deviennent son programme politique et les groupes d’intérêt qui ont financé sa campagne s’attendent à un certain retour sur investissement. Le président doit également proposer quelque chose de concret à l’Américain moyen. Forts de ces éléments, auxquels s’ajoute le fait que la pression est exercée sur une seule et même personne, dont l’objectif premier était seulement d’être élu ou réélu, nous pouvons nous demander dans quelle mesure un président, lorsqu’il prend une décision, tient compte de l’intérêt national et des répercussions à long terme. C’est d’ailleurs pour cette raison que chacun d’eux se trouve limité par une vision restreinte définie par ses bailleurs de fonds et fait preuve d’un manque de perspicacité, aveuglé par son désir d’être réélu pour un second mandat.
Par ailleurs, les chefs militaires et les dirigeants des renseignements ne sont pas élus et n’interagissent que rarement avec le public. Ils ne reçoivent pas d’argent de donateurs à qui ils doivent rendre des comptes. Ils sont sur le terrain et savent exactement ce qui se passe mais, comme ils n’ont pas de pouvoir – nous l’avons vu en Irak –, le président peut utiliser le renseignement militaire comme un outil pour justifier une décision qu’il a déjà prise, au lieu de s’en servir pour prendre une décision éclairée.
Par conséquent, il faudrait que les militaires et les services de renseignement contrôlent la prise de décision américaine afin de l’améliorer. Leur approbation ne ternirait pas la démocratie ni ne déprécierait le président choisi par le peuple américain. Bien au contraire, de tels contrôles lui donneraient la protection dont il a besoin pour justifier ses actions aux yeux du public. Ils permettraient également de protéger la démocratie de l’influence des groupes d’intérêt et d’un populisme émotionnel dépourvu de pragmatisme et de réalisme.
Après l’énorme erreur commise en Irak, une nouvelle procédure a été mise en place pour les grandes décisions. Les chefs des services de renseignement doivent désormais se porter personnellement garants de la crédibilité de leurs preuves afin d’améliorer le processus décisionnel. Mais cela ne saurait suffire à éviter les erreurs importantes. Les personnes qui sont parfaitement au courant de la situation devraient avoir le pouvoir de dire: «Non, monsieur le président, vous ne pouvez pas faire cela.»
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheuse affiliée à l’Institut Issam-Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com