BAYEUX : C'est une femme, trentenaire, et elle co-préside la ville de Raqqa, ex-fief du groupe État islamique (EI): "9 jours à Raqqa", en salles mercredi, raconte une expérience de parité "au cœur du Moyen-Orient".
Xavier de Lauzanne, le réalisateur de ce documentaire tourné en mars 2019 pendant neuf jours, montre Leïla Mustapha, une Kurde, co-présider l'ancien fief de l'EI avec un homme arabe.
"Ce qui m'intéressait beaucoup, c'est de déjouer certains clichés qu'on peut avoir notamment sur la situation des femmes", a expliqué le réalisateur lors de la présentation du film au Prix Bayeux des correspondants de guerre (en octobre).
"Dans cette région-là, toutes les administrations gérées par les Kurdes ont à leur tête obligatoirement un binôme homme-femme. (...) C'est quand même une expérience incroyable et on est au cœur du Moyen-Orient", avait-il poursuivi.
"C'est surréaliste, c'est inédit mais ça existe. C'est né dans le chaos de 40 ans de dictature, 10 ans de guerre, quatre ans de califat", avait renchéri l'écrivaine Marine de Tilly, que le réalisateur a suivi durant ces neuf jours à Raqqa. Elle en a tiré un livre "La femme, la vie, la liberté".
Leïla Mustapha, à la fois ingénieure et titulaire d'un diplôme administratif, a été portée au pouvoir par un conseil civil de notables mis en place un peu avant qu'une coalition arabo-kurde appuyée par une coalition internationale ne déloge les jihadistes de Raqqa en octobre 2017, précise le réalisateur.
La jeune femme fait partie de cette minorité kurde ostracisée par Bachar al-Assad puis expulsée de Raqqa par les jihadistes qui menaçaient d'"assassiner" les Kurdes.
Dans les ruines de cette ville détruite à 80%, où Daech a fait régner la terreur avec des viols, des exécutions, des lapidations, la jeune femme, qui n'a pas fait la guerre, évolue dans le film tête nue, cheveux attachés, dans un monde d'hommes qui l'écoutent avec respect. Elle se bat pour redonner vie à une cité sans électricité ni réseau d'eau fonctionnel, ni aide internationale.
Contre-réaction
Le film montre une Leïla Mustapha d'une détermination exceptionnelle mais loin d'être la seule femme au sein de l'administration autonome du nord de la Syrie.
Sous le califat, "les femmes n'étaient pas considérées comme des être humains. Il y a eu une contre-réaction positive des femmes", souligne un responsable de cette administration dans le documentaire.
L'insécurité demeure toutefois. Leïla doit habiter à 50 km de Raqqa, chez ses parents. Et la co-présidente, comme l'équipe qui la suit, ne peut rester trop longtemps dehors.
Le réalisateur et l'écrivaine expliquent avoir tremblé à l'annonce de l'assassinat en octobre 2019 d'Hevrin Khalaf, une responsable politique syrienne, sur les routes qu'emprunte Leïla Mustapha.
Des opposants ? "On imagine bien qu'il y en a mais ça n'était pas mon angle qui était de prendre parti pour quelqu'un et d'aller à fond dans son univers", a expliqué Xavier de Lauzanne.
Avec Marine de Tilly, il est retourné sur place en mars 2020, pour "voir si il y avait des résultats concrets". "On a été à nouveau éblouis. On est arrivés de nuit dans une ville éclairée. On a trouvé Leïla les cheveux détachés, moins contractée qu'un an plus tôt", comme le montre la fin du film.
"Et puis on était en mars, c'était la journée de la femme. Son bureau était tapissé de fleurs. Elle continue à fédérer", a-t-il ajouté.