BAGDAD: Les espoirs du gouvernement irakien de réformer le pays et de revitaliser son économie sont entravés par une nouvelle vague de violences dans le pays, marquée par l'apparition de groupes armés jusque-là inconnus et présumés proches de l'Iran.
Le Premier ministre Moustafa al-Kazimi a promis depuis son arrivée au pouvoir en mai de lutter contre les milices armées, de combattre la corruption et de mener les réformes longtemps attendues. Mais plus la concrétisation de ces promesses se dessine, plus les groupes armés --ayant des liens présumés avec l'Iran-- deviennent violents, affirment des responsables irakiens.
« A chaque fois que ces groupes voient que l'on se rapproche de leurs intérêts économiques et militaires, ils lancent des roquettes ou mènent des campagnes de propagande pour détourner notre attention », explique à l'AFP un haut responsable gouvernemental. Un autre responsable irakien renchérit: « Nous sommes constamment en train de combattre des incendies et donc nous ne pouvons pas nous concentrer correctement sur la stratégie globale ».
Le surcroît de violences était déjà palpable avant la visite de M. Kazimi mi-août à Washington mais elles ont encore enflé depuis.
Une attaque le 3 septembre a visé, pour la première fois, le siège de la société de sécurité G4S à Bagdad. Un responsable du renseignement a précisé à l'AFP qu'un drone avait lâché une petite charge explosive.
Aucune faction ne l'a revendiquée mais des groupes soutenus par Téhéran ont accusé l'entreprise américano-britannique de complicité dans l'élimination en janvier en Irak par les Américains du général iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Qods, l'unité d'élite chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de Téhéran. Quelques jours avant l'attaque contre G4S, un employé des Nations unies a été blessé dans l'explosion d'un engin artisanal au passage d'un convoi du Programme alimentaire mondial à Mossoul (nord).
Un groupe affirmant faire partie de la « Résistance islamique » --expression désignant les groupes pro-Iran-- a assumé la responsabilité de l'attaque, accusant l'ONU d'utiliser ses convois pour acheminer des agents du renseignement américain. « Vos véhicules brûleront dans les rues d'Irak », a menacé le groupe dans un communiqué publié sur internet.
Une demi-dizaine de milices jusque-là inconnues ont lancé des menaces similaires ces derniers mois, sous la bannière de la « Résistance islamique ». « Cinq groupes, dont Kataëb Hezbollah (Hezbollah irakien, NDLR), Asaïb Ahl al-Haq, et d'autres, sont derrière l'instabilité récente », a affirmé un responsable irakien du renseignement. Ces groupes conservateurs sont membres du Hachd al-Chaabi, une coalition de paramilitaires intégrée à l'Etat irakien mais alliée de l'Iran réclamant au Parlement l'expulsion des troupes américaines.
Quand M. Kazimi est devenu chef du gouvernement, ces groupes étaient furieux. Kataëb Hezbollah a accusé M. Kazimi d'avoir comploté contre Soleimani lorsqu'il dirigeait encore le renseignement irakien. Et pour ce groupe comme pour d'autres, la promesse de M. Kazimi de lutter contre les groupes armés a été prise comme une tentative de leur couper les ailes, ont expliqué des responsables et experts irakiens.
Outre leurs attaques armées, ils ont aussi intensifié la pression via des médias non conventionnels comme la messagerie Telegram, diffusant avec un sentiment d'impunité des menaces d'attaques de convois militaires avant qu'elles ne soient perpétrées. Des médias irakiens critiques de Téhéran ont aussi été menacés, comme la chaîne de télévision Dijlah, incendiée la semaine dernière après des menaces sur Telegram.
Le gouvernement ne cherche pas une confrontation directe avec ces groupes, assure Ahmad Mulla, porte-parole du Premier ministre. « Nous cherchons plutôt à assécher leurs sources de financements en ciblant les passages à la frontière », dans la lutte anticorruption notamment. Une pratique risquée.
« Ils vont faire chanter les responsables, menacer leurs familles, mobiliser les tribus et peut-être même commettre des assassinats », a estimé en juillet à l'AFP un haut responsable. Selon un autre responsable, le ministre des Finances Ali Allawi n'a pu respecter la date butoir du 24 août pour soumettre au parlement son « Livre blanc » sur les réformes économiques, en raison des attaques. M. Kazimi a mis en place la semaine dernière un conseil anticorruption, autorisant les unités d'élite du service de contre-terrorisme à arrêter des hauts responsables jusque-là intouchables. Elles ont également mené des opérations à Bassora et à Bagdad pour saisir les armes non déclarées, avec peu de réussite.
Pour l'expert irakien en sécurité Fadel Abou Raghif, la situation est « dangereuse »: « En fin de compte, Kazimi devrait engager un vrai dialogue avec les chefs spirituels de ces groupes pour éviter une confrontation. »