BEYROUTH : Christine Tohmé avait déjà été diagnostiquée d’un cancer de l’ovaire lorsque le système financier du Liban a commencé à se détériorer en 2019. Elle ne s’attendait pas à ce que, deux ans plus tard, l’effondrement économique de son pays constitue une menace directe pour sa vie.
En février, on a diagnostiqué chez la quinquagénaire un cancer du côlon de troisième stade. Après avoir subi une intervention chirurgicale au début de l’année, elle a dû effectuer six séances de chimiothérapie.
Mais, à cause des pénuries de produits de première nécessité touchant tous les aspects de la vie des Libanais, on a annoncé à Mme Tohmé que la possibilité de terminer son traitement n’est pas garantie, parce que les hôpitaux manquent de médicaments essentiels.
Elle n’a jusqu’à présent effectué que trois séances. Le cancer s’est étendu à ses glandes lymphatiques et elle craint de n’avoir plus que quelques mois à vivre si elle ne peut pas terminer son traitement.
Après avoir frappé à toutes les portes pour tenter d’obtenir à tout prix ses médicaments, Mme Tohmé est descendue dans la rue jeudi, malgré sa santé fragile, pour participer à un sit-in de protestation avec d’autres patients atteints de cancer, des médecins et des organisations non- gouvernementales.
« J’espère que Dieu me donnera la force, car je n’en ai pas tant que ça, de me tenir debout et de participer pour que les gens nous voient, compatissent avec nous et nous envoient des traitements », a déclaré Mme Tohmé à Reuters deux jours avant l’événement. « J’ai des enfants, je veux être heureuse avec eux, les voir se marier et devenir grand-mère ».
Les professionnels libanais de la santé mettent en garde depuis des mois contre la diminution des stocks de matériel médical essentiel. Les rayons de nombreuses pharmacies sont vides en raison de l’épuisement des réserves étrangères du pays, conséquence d’un système de subventions utilisé pour financer le carburant, le blé et les médicaments, qui coûte à l’État environ 6 milliards de dollars par an.
Ce mois-ci, la banque centrale a déclaré qu’elle n’était plus en mesure de financer les importations de carburant à des taux de change subventionnés, ses réserves en dollars ayant été largement épuisées.
Le cas de Mme Tohmé n’est pas unique. Le Dr Joseph Makdessi, qui dirige le département d’hématologie et d’oncologie du centre médical universitaire de l’hôpital Saint Georges, estime qu’environ 10% des patients atteints de cancer n’ont pas pu se procurer leur traitement au cours des deux derniers mois.
« Nous avons besoin d’une solution immédiate », lance le Dr Makdessi. « Je ne peux pas dire à mes patients que nous sommes en période de crise et leur demander d’attendre que ça passe, car cette maladie n’a aucune patience ».
L’État libanais, profondément endetté, s’efforce de lever des fonds à l’étranger dans un contexte de paralysie politique et a progressivement levé de nombreuses subventions.
Les médicaments contre le cancer, quant à eux, sont toujours subventionnés, ce qui signifie que pour pouvoir les importer, les agents doivent attendre le financement de la banque centrale, qui a pratiquement épuisé ses réserves.
Le Dr Makdessi n’est pourtant pas convaincu que la levée des subventions sur les médicaments anticancéreux résoudra le problème urgent de ses patients.
Certains traitements de chimiothérapie, qui peuvent coûter jusqu’à 5 000 dollars par séance, sont actuellement subventionnés. Le patient paye donc environ 400 dollars, et l’État prend en charge le reste du coût.
« Même si ces subventions sont levées pour que les médicaments soient disponibles, beaucoup de patients ne pourront pas se permettre de les acheter », souligne-t-il.
Le ministère de la Santé n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire.
Le ministre sortant de la Santé, Hamad Hassan, qui perquisitionne des dépôts où sont entreposées de grandes quantités de médicaments et de matériel médical, rejette en partie la responsabilité des pénuries sur les commerçants qui stockent les produits.
L’association Barbara Nassar pour le soutien aux patients atteints de cancer, le groupe de sensibilisation libanais qui a organisé le sit-in de jeudi, a fourni des médicaments d’une valeur de plus de 1,5 million de dollars en 2020 grâce aux dons en nature d’anciens patients.
Mais aujourd’hui, Hani Nassar, dont l’épouse Barbara a fondé l’organisation avant de décéder de la maladie il y a plusieurs années, affirme que les dissensions politiques du pays entravent les efforts déployés pour atténuer le problème.
« La banque centrale veut lever les subventions mais le ministère de la Santé n’est pas d’accord, et pendant ce temps, le patient se retrouve sans traitement », observe M. Nassar.
Lors du sit-in de jeudi, les patients ont confié qu’ils se tournaient vers quiconque pouvait les aider à bénéficier d’une seconde chance dans la vie. « Après tout ce que j’ai enduré, j’ai perdu mes ongles et mes cheveux et mon corps a changé, et maintenant, je me retrouve dans l’impossibilité de trouver un traitement, ce qui m’a vraiment fait régresser », déplore l’ingénieure Bahaa Costantine.
« J’étais une personne pleine d’énergie et qui aimait la vie. Je ne veux pas être une mariée au ciel. Je refuse de l’être. J’espère que ma voix parviendra à quelqu’un qui pourrait m’aider ».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com