PARIS: L'abonnement voudrait incarner un mode de consommation flexible, mais il peut devenir un vrai fil à la patte pour le consommateur, entre résiliations difficiles et pratiques commerciales parfois douteuses.
Des abonnements, "honnêtement, j'en ai tellement qu'il faudrait que je les référence", confesse Lucie, étudiante en droit de 22 ans.
Entre les plateformes de streaming comme Netflix, Prime Vidéo, Disney+ et Salto, sa salle de sport, un programme de conseils fitness et minceur, un forfait hammam, sauna et spa, et un abonnement Eurostar, la jeune femme estime son "budget abonnement" à plus de 400 euros par mois, alors qu'elle n'en utilise... presque aucun.
L'étudiante se dit facilement découragée par les démarches administratives et l'impression de "perdre un avantage" en résiliant. Dans un article sur le sujet, l’association de consommateurs UFC-Que choisir évoquait "un lien quasi affectif difficile à rompre".
S'abonner, pour mieux surconsommer ?
PARIS: Recevoir beaucoup de produits, sans en avoir réellement besoin: l’abonnement, forme d'achat récurrent, provoque le risque d’une consommation effrénée, même si de nouveaux acteurs affirment proposer aussi des modèles plus durables.
"Ça ne me pousse pas à acheter, ça me force !" Elisa, 24 ans, pensait faire une bonne affaire en prenant le service "VIP" de Fabletics, qui propose un abonnement mensuel à utiliser pour acheter des vêtements de sport à prix préférentiel.
L'entreprise permet chaque mois à ses abonnés qui le souhaitent de ne pas régler leur mensualité, mais Elisa a oublié à plusieurs reprises de "passer le mois". Elle a donc payé 200 euros, qu'elle doit désormais dépenser, faute de pouvoir se faire rembourser. "Ce sont des choses que je n'aurais pas achetées si je n'y étais pas obligée", assure-t-elle.
Dans une industrie de la mode déjà très critiquée pour son impact environnemental, les sociétés comme Fabletics "utilisent l'abonnement pour faire en vérité de la promotion cachée", estime Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet de conseil Utopies, spécialisé dans le conseil en développement durable aux entreprises. "On vous incite à consommer, sous prétexte d'obtenir un prix avantageux", déclare-t-elle à l'AFP.
Fabletics n'a pu être jointe par l'AFP.
La consultante Elisabeth Laville est aussi sévère envers un autre mode d'abonnement: les box. Un concept né en 2010, qui permet au client de recevoir chaque mois un colis de produits, souvent surprises, selon un thème défini. Quitte à ne pas recevoir toujours ce dont il a besoin, ou envie. "Cela va complètement à l'encontre de ce qu'on voudrait promouvoir, le fait de choisir mieux, de faire des choix raisonnés et conscients", soupire-t-elle.
Pourtant, certaines entreprises tentent d'utiliser l'abonnement comme un moyen d'aller vers une consommation plus durable. Abonnements pour des voitures partagées, des appareils électroménagers en location ou encore pour des paires de chaussures... La société est alors propriétaire du produit, et elle cherche à favoriser son usage, plutôt que sa possession.
"L'entreprise sait qu'il faut agir sur la durée. Il lui faut donc les meilleurs produits possibles, et aller ainsi à l'encontre du modèle de l'obsolescence programmée", soutient Michael Mansard, directeur de la transformation des business models chez Zuora, qui fournit des services pour aider les entreprises à gérer leur offre d'abonnement.
- Plus écologique de louer des vêtements ? - Ces dernières années, des entreprises de garde-robe partagées fleurissent ainsi, inspirées par le modèle de la société américaine Rent the Runway, qui propose de louer des vêtements tous les mois, en achetant seulement ceux qu'on souhaite réellement garder. Une devise : "porter plus, acheter moins".
À première vue, l'idée paraît mener à une consommation plus responsable: les vêtements sont utilisés par plusieurs personnes, au lieu de dormir dans un placard.
"Je cherchais à avoir un comportement plus éco-responsable. Je culpabilisais de voir tous ces vêtements dans ma penderie alors que je mets toujours les mêmes", témoigne Sixtine, 27 ans, qui s'est abonnée il y a près d’un an au Closet, une start-up française qui a repris le concept.
Cette idée de garde-robe partagée a tout de même quelques limites. Dans un secteur aussi concurrentiel que le textile, avec une mode qui évolue rapidement, il risque d'y avoir "une pression des consommateurs pour que le stock change régulièrement", prévient Alma Dufour, chargée de campagne au sein de l'association de défense de l'environnement Les Amis de la Terre. "Cela finirait par créer de toutes manières une augmentation des stocks, et donc une consommation importante de vêtements", explique-t-elle à l'AFP.
Reste aussi la problématique de l'impact écologique du transport des vêtements, qui font de nombreux allers et retours entre les clients et la société, notamment pour être lavés, et celle de leur fin de vie, une fois qu'ils sont abîmés.
En juillet dernier, une étude de chercheurs à la LUT University de Lahti (sud de la Finlande), publiée dans le journal Environmental Research Letters, s'est penchée sur le sujet: elle soutient que la location de vêtements, si elle se fait à grande échelle plutôt qu'au niveau local, a un impact plus important sur le dérèglement climatique qu'un achat basique, où les vêtements sont jetés en fin de vie à la poubelle.
Premier obstacle: les périodes d'engagement. Il n'existe pas de norme plafonnant ces durées, mais "à partir de 24 mois, il est très compliqué de justifier l'exigence d'abonnement" sans qu'elle ne soit perçue par des juges comme une clause abusive, explique à l'AFP Raphaël Bartlomé, responsable du service juridique de l’UFC-Que choisir.
Viennent ensuite d'autres entraves à la résiliation. Légalement, une simple identification du consommateur ainsi qu'une déclaration explicite suffisent à mettre fin à un abonnement. Mais de nombreux professionnels multiplient les conditions pour décourager la résiliation.
Le Norwegian Consumer Council, homologue norvégien du Conseil national de la consommation, détaille dans un rapport de janvier 2021 les "techniques de conception manipulatrices, connues sous le nom de +dark patterns+" ou "designs trompeurs" utilisés par Amazon Prime pour continuer à lier les abonnés à ce service payant.
Un formulaire de résiliation difficile à trouver, des formulations alambiquées, la menace de perdre ses données ou simplement supplier l'utilisateur de rester: l'autorité norvégienne liste une quinzaine de "dark patterns" en oeuvre dans le secteur.
"Comme le coût d'acquisition d'un nouveau client est de plus en plus fort, il y a une tendance à compliquer les choses", analyse Raphaël Bartlomé.
Abonnements cachés
Mieux que de compliquer la résiliation, "l’idéal pour le professionnel, c'est de faire oublier que l'abonnement existe", assure M. Bartlomé.
Par exemple Fabletics, une boutique en ligne de vêtements de sports, a choisi de fonctionner selon le même modèle que JustFab pour les chaussures ou Savage X Fenty pour la lingerie: des articles à petits prix sont proposés, mais uniquement aux membres du club VIP. Comprendre les acheteurs qui ont souscrit un abonnement.
Ces marques sont toutes les trois exploitées par la société TechStyle Fashion Group, basée aux Etats-Unis. L'entreprise, spécialiste du "commerce d’adhésion" - qui n'a pas pu être jointe par l'AFP - déclare compter plus de 5,5 millions de membres actifs dans le monde.
"Voleurs", "à fuir !": sur les réseaux sociaux, les critiques assassines de consommateurs qui assurent n'avoir pas eu connaissance qu'ils souscrivaient un abonnement sont légion.
Eszter, anglaise de 39 ans, a acheté deux tenues de sport de type "leggings" pour 24 livres (environ 28 euros) en octobre 2020 sur le site de Fabletics.
"L'achat lui-même était simple, aucune mention d'aucun type d'abonnement", assure-t-elle. En juillet 2021, elle remarque des commentaires de clients mécontents sous les posts Facebook de la marque, et se rend alors compte qu'elle aussi a été prélevée tous les mois de 49 livres (57 euros), soit une somme totale de plus de 440 livres (514 euros).
Eszter se tourne alors vers un groupe Facebook dédié aux "plaintes et recours" contre Fabletics et obtient un remboursement complet grâce aux conseils de ses membres. Certains, moins chanceux, ne réussissent qu'à convertir la somme prélevée en "crédits" à dépenser en vêtements sur le site.
La créatrice de ce groupe Facebook, Elie Brown, a elle-même connu des déboires avec la société. "J'avais l'impression d'avoir été trompée", explique cette consommatrice qui communique massivement sur son expérience.
"Les abonnements cachés figurent parmi les +dark patterns+ les plus courants", fait remarquer Raphaël Bartlomé, mais le fait de subordonner un achat à un abonnement est légal tant que la mention de l'abonnement est explicite, dès la présentation des articles.
Le "biais cognitif" jugé le plus efficace pour retenir l'attention reste le prix et la mention d'un 'abonnement, souvent en caractères plus petits ou différents, échappe ainsi au radar de l'acheteur.