LE COTEAU, FRANCE : Ouverte en 1957, quand Trenet chantait la Nationale 7, fermée en 1981, elle avait disparu derrière la végétation. Dans la Loire, des amoureux du patrimoine routier ont exhumé une ancienne station-service pour en faire un lieu d'animations.
À l'entrée du Coteau, au sud de Roanne, une longue ligne droite bordée de platanes suit la voie ferrée. Des milliers d'automobilistes l'empruntaient dans le passé, direction la mer.
"Pour aller sur la Côte d'Azur depuis Paris, il fallait trois jours, ça faisait partie des vacances", raconte Jean-Michel Buchet, président de l'association Car et bus et compagnie, qui mène le projet.
La N7 a été déplacée depuis pour contourner l'agglomération. Et les stations-service ont disparu alentour, remplacées par les pompes à essence des supermarchés. Au Coteau, c'était sans compter une bande de papys déterminés à en faire ressurgir une du passé.
Fermé il y a 40 ans par son dernier exploitant, le bâtiment de béton, squatté, tagué, devenu une quasi-décharge, avait cependant gardé son squelette intact, enfoui sous les arbres et les buissons.
"Quand on passait devant, on ne voyait plus que la flèche", raconte M. Buchet. Un élément typique de l'architecture de l'époque, sur lequel on distingue encore le nom d'une ancienne marque de carburant, Ozo.
«À l'identique»
Depuis le 8 juillet, les membres de l'association déblaient, cisaillent, tronçonnent. Les acacias avaient prospéré, même sur le toit. Et des mètres cubes de "saloperies" s'étaient accumulés dans les lieux au fil du temps.
Jean-Paul Kossmann, 69 ans, se souvient de la station en activité vers 1972 : il s'y arrêtait pour faire le plein de sa Renault 16 blanche, "modèle TL".
"On va la refaire telle qu'elle était, à l'identique", assure-t-il en montrant une arrivée d'électricité d'un autre âge, avec des isolateurs en verre qu'il compte conserver.
Retraités pour la plupart, les bénévoles ont l'air de bien s'amuser. Anciens du BTP, de l'exploitation forestière ou de la maçonnerie, ils ont le coup de main pour manier la brouette, la pelle mécanique ou le broyeur à végétaux.
Le patron d'un magasin de bricolage leur a proposé des matériaux. Des particuliers leur ont offert d'anciennes pompes à essence. Et l'ONG Urgences Patrimoine, séduite par ce projet "populaire", va leur fournir de la peinture pour ravaler la façade.
"Ce n'est pas une église romane, ni un château Renaissance, mais c'est une histoire humaine et c'est évidemment un élément de patrimoine car cela touche à l'affect de toute une génération", estime sa présidente, Alexandra Sobczak-Romanski.
La Fondation du Patrimoine regarde aussi le projet d'un bon œil.
Nostalgie
"On a tous connu ici les 30 Glorieuses, une belle époque, et on a l'âge de la nostalgie", confirme M. Kossmann.
Ce projet de "Ren'essence", qui vise à faire de l'endroit d'ici 2023 le siège de l'association, un lieu de rencontres et d'expositions ainsi qu'une halte pique-nique, a vite fait parler de lui sur les réseaux sociaux - la page Facebook est suivie par près de 3.000 personnes.
"Vous pouvez pas imaginer le nombre de gens qui s'arrêtent pour faire des photos, ça vient de partout. Hier, un couple de Nancy a fait le crochet exprès", indique M. Buchet.
Pour Philippe Perron, vice-président de l'agglomération de Roanne, "il se développe une forme de tourisme autour de la N7". Dans l'Allier voisin, à Lapallisse, les bouchons mythiques d'autrefois donnent lieu à une reconstitution en voitures d'époque, tous les deux ans depuis que la route a été déviée en 2006.
L'engouement pour la vieille nationale pousse aussi des touristes à emprunter les "délaissés", ses tronçons abandonnés, comme celui du Coteau.
En juillet, une visiteuse a été particulièrement émue en revenant sur les lieux, pour y avoir grandi. "On est parti en 1965, on a vécu de belles années ici", témoigne Pascale Buson, dont les parents ont tenu la station-service en habitant le petit logement attenant.
"Un jour que je passais devant, j'ai vu des engins, j'ai cru qu'ils allaient la démolir, j'en étais malade", confie la désormais marraine du projet.