ANKARA : L'Autriche a rejeté une demande officielle présentée par la Turquie en mai pour adhérer à un puissant programme de coopération européenne en matière de sécurité et de défense.
La candidature d'Ankara pour la Coopération Structurée Permanente (CSP) de l’Union Européenne a été rejetée par Vienne. Un refus motivé par ses inquiétudes au sujet de la régression des valeurs démocratiques en Turquie et les liens de cette dernière avec Bruxelles.
La CSP comprend 46 projets de défense communs en partenariat avec 24 États membres de l'UE, et constitue l'une des principales politiques de défense et de sécurité de l'Union.
Depuis l'automne de l'année dernière, l'adhésion est ouverte aux pays non membres de l’Union qui remplissent un ensemble de critères politiques et juridiques. À savoir, la démocratisation, le respect des politiques de sécurité et de défense communes et le maintien de bonnes relations avec leurs voisins de l'UE.
Cependant, l'impasse actuelle entre Ankara et Athènes au sujet des îles grecques, ainsi que les tensions croissantes concernant les projets de construction récemment annoncés par la Turquie sur l'île divisée de Chypre, font obstacle au bon voisinage.
Marc Pierini, ancien ambassadeur de l'UE à Ankara et aujourd’hui analyste chez Carnegie Europe, affirme à Arab News que la «position de l'Autriche peut sembler brusque, mais elle reflète probablement (celle) de l'UE sur la question de la participation de la Turquie à la CSP».
«La raison en général est que la structure actuelle de l'État de droit en Turquie n'a plus grand-chose à voir avec celle de l'Europe, et personne ne constate beaucoup de perspectives d'amélioration», explique-t-il.
Mardi, le ministre turc de la Défense a indiqué que son pays s'attend à ce que la Grèce opte pour des solutions politiques pacifiques. Il a appelé au désarmement des îles grecques qui n'ont pas de statut militaire.
Le récent achat par la Grèce d'avions de combat Rafale à la France a été critiqué par Ankara, et jugé comme une tentative de «course aux armements».
Mais la présence de systèmes de missiles russes S-400 sur le sol turc est considérée comme une position contradictoire avec les intérêts communs de sécurité et de défense de l'UE.
L'admission de pays non-membres de l'UE à la CSP vise à accroître la coopération entre les partenaires de l'OTAN, et à améliorer la mobilité militaire à l'intérieur et à l'extérieur de l'UE. Elle a pour objectif également de normaliser les procédures militaires transfrontalières, telles que la circulation de matériel militaire à travers l'Union en temps de crise.
La candidature de la Turquie à la CSP n’arrive pas au moment opportun. Cependant, sa participation au projet renforcerait probablement ses capacités militaires aériennes, terrestres, maritimes et cybernétiques, offrirait au pays une nouvelle voie dans l’amélioration de la coopération avec l'UE, et normaliserait ses relations avec les membres du bloc.
Pierini note que l'intérêt de la Turquie à s'associer à la CSP dénote qu’elle est ancrée à long-terme à l'Occident. Mais, la dernière visite du président turc Recep Tayyip Erdogan dans le nord de Chypre et le gain géopolitique massif accordé à la Russie grâce à l'achat de systèmes d'armes S-400, suggèrent tous une direction différente, a-t-il ajouté.
«Donc, nous sommes clairement dans une impasse en ce moment», soutient-il.
La Dr Selmin Seda Coskun, analyste en politique étrangère, rappelle à Arab News que la Turquie a pris d'importantes mesures, surtout en juin, afin de répondre aux exigences de l'UE en matière de relations de bon voisinage.
À ce jour, la Turquie et la Grèce ont tenu trois séries de pourparlers consultatifs et plusieurs réunions de désescalade de conflit sous l'égide de l'OTAN.
«Toutefois, il est évident qu'Ankara ne peut pas réaliser les mêmes progrès au niveau national», affirme Coskun.
Elle constate qu'Ankara tente de renforcer la coopération militaire avec la communauté occidentale pour éviter de s'enfermer dans l'impasse du S-400.
«La vente de véhicules aériens sans pilote de fabrication turque à l'Ukraine et à la Pologne afin de consolider sa présence dans l'alliance, la participation de la Turquie aux manœuvres militaires des navires de l'OTAN dans la mer Noire, ainsi que son rôle plus important en Afghanistan, surtout lorsque les troupes américaines se préparent à quitter ce pays en septembre, prouvent qu’Ankara est capable d’actions de réconciliation dans sa politique étrangère», ajoute Coskun.
Néanmoins, Coskun estime que, pour participer à la CSP, la Turquie doit démontrer une volonté de s'attaquer à son piètre bilan en matière de droits de l'homme, et convaincre l'UE des progrès démocratiques nationaux imminents.
De deux choses l’une. «Soit les membres de la CSP examineront les dernières mesures de politique étrangère de la Turquie et n'attendront pas trop d'Ankara, soit la Turquie comprendra qu'il serait plus avantageux d’adopter les valeurs de l'UE dans ses choix de politique intérieure», conclut-elle.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com