BAGDAD: Le Premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi, affaibli et sous pression des factions pro-Iran dans son pays, rencontre lundi à Washington le président Joe Biden pour discuter d'un hypothétique retrait américain et obtenir un soutien politique à trois mois des législatives en Irak.
Cette première rencontre du dirigeant irakien avec Joe Biden intervient une semaine après un attentat meurtrier à Bagdad revendiqué par l'organisation jihadiste Etat islamique (EI) qui, bien qu'officiellement vaincue depuis 2017, continue à mener des attaques dans le pays.
Samedi, à la veille de son départ pour la capitale américaine, M. Kazimi a lui-même annoncé sur Twitter l'arrestation des membres de la "cellule terroriste" responsable de l'attentat-suicide ayant fait 30 morts, un résultat rapide lui permettant d'arguer de la capacité de l'Etat irakien à assurer sa propre sécurité.
Car M. Kazimi a besoin d'une annonce officielle à Washington redéfinissant la présence américaine dans son pays, afin d'alléger la pression des puissantes factions irakiennes pro-Iran qui exigent le départ des 2.500 militaires américains encore déployés en Irak.
Ces factions regroupées au sein du Hachd al-Chaabi, coalition à la fois paramilitaire et intégrée à l'Etat, sont soupçonnées d'avoir mené depuis le début de l'année une cinquantaine d'attaques contre les intérêts américains en Irak.
"S'il n'y a pas d'annonce significative sur un retrait, je crains une escalade de la tension et une multiplication des attaques", s'inquiète le chercheur irakien Sajad Jiyad.
Vendredi encore, une attaque au drone a été menée sur une base abritant des militaires américains au Kurdistan (nord), sans faire de victimes. Et un "Comité de coordination des factions de la résistance irakienne", considéré comme un faux nez des groupes pro-Iran, a redemandé "le retrait total de toutes les forces américaines", faute de quoi les attaques se poursuivraient.
«Annonces cosmétiques»
La majorité des troupes américaines, envoyées en 2014 dans le cadre d'une coalition internationale pour aider l'Irak à défaire l'EI, ont été retirées sous la présidence de Donald Trump.
Officiellement, il n'y a pas de troupes combattantes, les militaires américains jouant un rôle de "conseillers" et de "formateurs" de l'armée et des forces antiterroristes irakiennes.
Le chef de la diplomatie irakienne, Fouad Hussein, qui a précédé le Premier ministre à Washington, a assuré que "les discussions aboutiraient à un calendrier de retrait des forces américaines". La presse américaine évoque, elle, une "redéfinition" de la mission des troupes.
Mais selon Ramzy Mardini, spécialiste de l'Irak au Pearson Institute de l'université de Chicago, il ne devrait pas y avoir de "changement radical" dans la politique américaine.
La rencontre devrait aboutir à des "annonces cosmétiques pour servir les intérêts politiques du Premier ministre irakien, mais la réalité sur le terrain reflètera le statu quo actuel et une présence américaine durable", dit-il.
"La dernière chose que souhaitent les Etats-Unis est de quitter l'Irak et se retrouver dans quelques années face à la même situation, avec un retour de l'EI", souligne une source diplomatique occidentale, constatant que "la plupart des raisons qui ont permis l'émergence de l'EI existent toujours".
Campagne électorale
L'EI, qui a contrôlé de larges pans de l'Irak et de la Syrie voisine entre 2014 et 2017, a été défait et chassé des centres urbains. Mais ses membres restent présents dans les montagnes et régions désertiques.
Au-delà des questions sécuritaires, Moustafa al-Kazimi, qui espère se maintenir après les législatives prévues en octobre, est à la tête d'un pays en crise.
Pénurie d'électricité, corruption, assassinats d'opposants, Covid et instabilité politique minent l'Irak, ravagé par une succession de conflits depuis l'invasion américaine de 2003 ayant renversé Saddam Hussein.
"Kazimi, qui espère sans doute rester Premier ministre, veut se prévaloir du soutien américain et éviter que la situation intérieure empire", analyse Sajad Jiyad.
Dans ce contexte, ajoute-t-il, l'un des points clés des discussions à Washington est aussi d'obtenir un assouplissement pour permettre à l'Irak de faire des transactions avec l'Iran sans tomber sous le coup des sanctions américaines secondaires frappant les pays commerçant avec Téhéran.
La crise énergétique en Irak a été aggravée par la coupure fin juin des livraisons iraniennes de gaz, en raison de factures impayées de six milliards de dollars.
"La visite du Premier ministre est inextricablement liée à sa campagne électorale", abonde Ramzy Mardini. "Il cherche à consolider un soutien international et régional pour compenser sa faiblesse sur la scène intérieure."