Dans le roman satirique remarquable sur la guerre froide « Our Man in Havana » (Notre agent a la Havane) - 1958 , l'auteur Graham Greene relate l'histoire de Jim Wormold, un père célibataire qui vit à Cuba, dans une solitude et un désespoir accrus. Dans ce roman, Graham Greene se moque des agences de renseignement occidentales vaniteuses et prétentieuses, en particulier de son ancien patron, le MI6.
Ce récit, qui correspond, à mon avis, à la plus belle satire politique des temps modernes, atteint son apogée lorsque Wormold, un vendeur d'aspirateurs sans talent, persuade l’agence d'espionnage crédule que des silos pour missiles sont dissimulés dans la jungle de l'île. En réalité, les photos prises pour étayer ses allégations ne sont que les photos du tout dernier modèle d'aspirateur qu'il vend.
À la fois humoristique et acerbe, « Notre agent à la Havane » illustre cette réalité élémentaire du risque politique: les étrangers arrogants et influents qui se mêlent de problèmes politiques nationaux complexes ne font qu’empirer la situation, dans la plupart du temps. Confronté à cette mini-crise inattendue à Cuba (chose ironique), le président Joe Biden se doit de ne pas incarner « Notre agent à Washington » , un étranger bien intentionné mais mal informé qui finit par faire du tort à la cause qu'il défend, à savoir la démocratie.
Dimanche, des manifestations massives, organisées et spontanées ont déferlé sur Cuba. C'est de San Antonio de los Banos qu'elles sont parties, avant de gagner d'autres villes, dont la capitale, La Havane. Des foules inouïes ont envahi les rues, scandant « Liberté » et « À bas le communisme ». Évidemment, la riposte du gouvernement autoritaire de Miguel Diaz-Canel a été de bloquer l'accès à Internet, d'arrêter plus de 100 dissidents et de jeter la responsabilité de tout ce désordre sur les États-Unis.
Mais en réalité, M. Diaz-Canel ferait mieux de consulter le miroir. Au cours de l'année dernière, marquée par la pandémie, l'économie de Cuba, chancelante comme toujours, a traversé une épreuve spectaculaire. En 2020 le PIB a chuté de quelque 11%, ce qui correspond à la plus grande crise économique que Cuba ait traversée depuis trois décennies.
Pour commencer, le gouvernement a fait preuve d'un manque de rigueur spectaculaire dans la gestion de la pandémie. Le nombre d'infections au coronavirus (Covid-19) a grimpé en flèche cette année ; la semaine du 5 juillet, 30 840 nouveaux cas ont été signalés. Cette flambée de cas de Covid-19a dévasté le secteur du tourisme, un secteur vital pour Cuba qui génère un dixième des revenus du pays. Dans la période allant de janvier à février 2021, l'île n'a accueilli que 4, 5 % des touristes recensés l'année précédente : un coup dévastateur pour l'économie.
La mauvaise réponse apportée par le gouvernement tient à la décision de la Havane de jouer solo dès les premiers jours de la pandémie. Elle a ainsi refusé toute forme d'aide médicale étrangère et conçu son propre vaccin. Comme on pouvait s'y attendre, le déploiement du vaccin local a été lent ce qui a fait grimper en flèche le bilan des décès et a failli submerger le système médical et paralyser l'économie de Cuba.
Vint par la suite la baisse marquée du volume de pétrole fourni par son allié : le Venezuela, un pays soumis à de rudes épreuves et dont la capitale sombre dans le chaos. Sans cet approvisionnement illimité en carburant abordable, les coupures de courant sont désormais au goût du jour, ce qui fait frémir la population cubaine moyenne et affaiblit davantage l'économie.
Pour couronner le tout, l'embargo imposé par les États-Unis depuis février 1962, continue de peser lourdement sur l'économie de Cuba. Si le gouvernement Obama a légèrement assoupli les restrictions, on a assisté à une inversion partielle de ce dégel au cours des années Trump, lorsque les restrictions ont été rétablies sur les transferts de fonds de la communauté cubano-américaine et ce, en janvier 2017. Au cours de sa campagne électorale en 2020, Biden a promis de rétablir une levée partielle des restrictions instaurées par Obama, sans toutefois donner suite à sa promesse électorale.
Mais tout cela reste bien entendu hors sujet ; c'est bel et bien l'embargo sur les échanges commerciaux qui explique en grande partie le désarroi du pays. Il s'agit là de la pire des choses. Cet embargo a infligé de véritables dégâts à la population ordinaire de Cuba. Dans le même temps, l'embargo imposé depuis plus de cinquante ans n'est pas parvenu à évincer le gouvernement communiste et autoritaire des frères Castro. Bien pire, cette mesure sert dorénavant de prétexte à La Havane pour justifier la misère de Cuba et détourner les regards du vrai coupable : le gouvernement communiste defaillant lui-même.
Il ne faut absolument pas offrir à Diaz-Canel et à aux apparatchiks qui l'entourent de quoi justifier leurs erreurs; le moment est venu pour qu'ils en assument la responsabilité.
Dr. John C. Hulsman
Comme de coutume, Diaz-Canel a qualifié les manifestations de complot américain visant à « briser » le parti communiste. Reprochant à l'embargo américain les pénuries massives de nourriture, de carburant et de médicaments, et désignant la politique américaine comme une « politique d'asphyxie économique », le président cubain cherche désespérément à rejeter la faute sur les autres, tout en continuant à réprimer les manifestants sans ménagement.
Il ne faut absolument pas offrir à Diaz-Canel et à aux apparatchiks qui l'entourent de quoi justifier leurs erreurs; le moment est venu pour qu'ils en assument la responsabilité.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
NDRL : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com