Sans surprise, l'une des citations qui décrit le mieux la situation humaine ainsi que le risque politique me vient de Shakespeare. Dans « Jules César », Cassius s'en prend à son ami (et complice de l'assassinat) Brutus, qui déplore les malédictions du destin. Ne partageant pas ce sentiment, Cassius lui dit : « La faute, cher Brutus, n'est point dans les astres, mais bien en nous-mêmes ». Autrement dit, ce n'est pas la malchance mais les erreurs de l'homme qui expliquent en grande partie le monde dans lequel nous vivons.
Ainsi en va-t-il de l'Afrique du Sud. Forte d'une position géostratégique vitale qui longe les routes du commerce mondial, de ressources naturelles inépuisables et (depuis la fin du sinistre apartheid) de paix politique, l'Afrique du Sud n'a jamais été réussi à profiter de cette chance structurelle et de se hisser au rang qu'elle mérite : l'une des plus grandes puissances émergentes du monde. Au lieu de cela, ce pays a sans cesse déçu, en termes de macroéconomie et de développement global.
Ce n’est donc pas la faute des étoiles – leur alignement semble favorable à ce pays qui forme, aux côtés du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine, le club des puissances émergentes appelé BRICS –. Ce sont les rouages du gouvernement de l’Afrique du sud qui en portent la responsabilité. En effet, le serpent dans le jardin n'est autre que la corruption, qui freine le développement politique et économique du pays depuis plusieurs décennies. Cependant, voilà que le gouvernement du président Cyril Ramaphosa, un réformiste hésitant, se prépare à prendre la corruption par les cornes. Une victoire sur ce front libèrerait les perspectives prometteuses que recèle le pays.
L'Afrique du Sud vit un moment décisif en termes de risque politique sur le long terme ; le gouvernement de M. Ramaphosa se sentant suffisamment fort pour engager le combat. Il est entré cette année dans une confrontation frontale avec les figures les plus toxiques du Congrès National Africain (ANC), le parti qui détient le pouvoir depuis de nombreuses années. En sollicitant l'appui des dirigeants de son parti, M. Ramaphosa s'est acquis le droit de suspendre tout membre du parti qui ne démissionne pas s'il est accusé de corruption. Cette nouvelle arme administrative permet au président de prendre des mesures plus décisives en cas de soupçons de corruption, en vue d'assainir l'ANC.
Par ailleurs, cette stratégie l'a confronté directement à Ace Magashule, le bras droit de l'ancien président Jacob Zuma et principal rival politique de Ramaphosa. Accusé lui-même de fraude, de vol, de corruption et de blanchiment d'argent, Magashule incarne l'ancienne administration Zuma souillée par la corruption. En dépit de sa mauvaise réputation sur la scène internationale, Zuma et ses acolytes conservent un pouvoir non négligeable au sein de l'ANC, ce qui compromet, à chaque tournant, les tentatives de Ramaphosa visant à éradiquer le fléau qu'est la corruption héritée du passé.
Mais cette tempête n'était rien qu'un prélude aux événements qui ont suivi : une enquête judiciaire de longue haleine portant sur les scandales de corruption qui ont émaillé le mandat de Zuma (2009-2018) menace de condamner l'ancien président lui-même à 15 mois de prison pour outrage au tribunal, étant donné qu'il refuse de répondre sous serment aux questions de cette enquête. La population d'Afrique du Sud se tourne vers le système judiciaire, profondément indépendant, pour défendre les libertés dans le pays. En effet, les juges sont réputés pour leur transparence, contrairement aux pouvoirs exécutif et législatif, gangrenés par la corruption dans la vie politique sud-africaine.
L'enquête se penche sur les accusations portées à l'encontre de M. Zuma, qui aurait permis aux frères Gupta – hommes d'affaires indiens bien connectés –de désigner (pour des motifs financiers) leurs propres subordonnés à la tête de ministères. Ces derniers auraient à leur tour confié des contrats publics aux frères Gupta. En Afrique du Sud, ce scandale est appelé « State Capture » (ou Capture de l'État). Les frères Gupta ayant fui le pays, le témoignage de Zuma est désormais au cœur de cette affaire. Selon les allégations, ce complot aurait détourné jusqu'à 500 milliards de rands (34 milliards de dollars) des fonds de l'Afrique du Sud.
Évidemment, M. Zuma ne se laisse pas faire. Il accuse le système judiciaire de faire preuve de partialité et de se livrer à une chasse aux sorcières partisane, qui bénéficie du soutien de son rival de longue date, M. Ramaphosa. Alors que Zuma attendait de faire appel, des centaines de ses partisans, toujours aussi fidèles, se sont rassemblés devant son domicile pour interdire aux autorités de l'emmener en prison. Cette manœuvre est perçue comme une épreuve décisive pour le courage de l'ANC. Mercredi, Zuma s'est rendu de son plein gré, à moins d'une heure de l'échéance fixée pour son arrestation, lorsque la police devait affronter ses partisans.
Le serpent dans le jardin n'est autre que la corruption, qui freine le développement politique et économique du pays depuis plusieurs décennies.
Dr. John C. Hulsman
La possibilité de mettre l'ancien président sous les verrous est à la fois source de bénédiction et de malédiction pour Ramaphosa, qui a succédé à Zuma en 2018. L'enquête judiciaire - ainsi que son duel imminent avec Magashule au sein de l'ANC - prouve aux citoyens (ainsi qu'aux investisseurs étrangers) que sa lutte contre la corruption est une sérieuse et qu'elle aboutit enfin à des résultats concrets.
Cependant, l’heure de vérité a sonné à Pretoria : Zuma et le lieutenant Magashule seront sanctionnés ou bien ils échapperont aux accusations, ce qui consacrera leur impunité et l'incapacité de l'Afrique du Sud à lutter contre ce fléau qu'est la corruption. Les enjeux sont on ne peut plus importants, dans la mesure où la concurrence politique se présente sous une forme binaire. Ainsi, la victoire reviendra à l'un ou l'autre : Ramaphosa ou la corruption.
Il s'agit là d'un exemple de risque politique dans lequel l'issue de cette compétition binaire déterminera la trajectoire future de tout le pays. L'Afrique du Sud sera un pays où règne l'État de droit, ou elle ne le sera pas. Si elle y parvient, les formidables perspectives offertes à l'Afrique du Sud seront nettement plus plausibles et sa trajectoire prendra définitivement une direction ascendante. La faute (ou le crédit) revient entièrement à l'habileté de l'administration Ramaphosa elle-même et non pas aux astres.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
NDRL : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com