CASABLANCA: Reporters sans frontières (RSF) et le comité de soutien du journaliste marocain Soulaimane Raissouni ont dénoncé samedi sa condamnation la veille à cinq ans de prison pour « agression sexuelle », et réclamé sa libération dans l'attente d'un procès en appel « équitable ».
Depuis mai 2020, Raissouni, rédacteur en chef du quotidien privé Akhbar Al Yaoum, est en détention provisoire à la suite d'une plainte pour « agression sexuelle », des faits qu’il conteste.
Ses soutiens et ses proches dénoncent un « procès politique » et qualifient de « critique » l'état de santé du journaliste de 49 ans, qui a entamé une grève de la faim il y a 93 jours pour protester contre une « grande injustice ».
« La justice a triomphé. Toutes les sales manœuvres de politiser l'affaire seront vaines », a réagi pour sa part le plaignant sur Facebook, précisant qu'il comptait « faire don du montant des dédommagements à une association caritative ».
La dernière fois que Soulaimane Raissouni est apparu devant la cour, le 10 juin, il marchait en titubant, son corps amaigri et la peau sur les os.
Au Maroc comme à l'étranger, des défenseurs des droits humains, des intellectuels ou des responsables politiques réclament sa libération provisoire.
« Verdict injuste »
« Nous demandons instamment que Raissouni soit libéré dans l'attente d'un procès en appel. Après une grève de la fin aussi longue, il y va de sa survie. Il mérite un procès équitable », a plaidé samedi RSF dans un communiqué.
« Cette décision survient à l'issue d'un procès entaché d'irrégularités manifestes », est-il précisé.
Le comité de soutien du journaliste, composé de militants appartenant à diverses associations locales de défense des droits humains, a « condamné fermement (un) verdict injuste (…) aussi sévère qu’incompréhensible ».
Dans son communiqué, il dénonce le fait que le tribunal « n'a présenté devant la défense aucune preuve et n'a entendu aucun témoin ».
La police a empêché un sit-in que tentaient d'organiser samedi à Rabat une vingtaine de membres du comité pour protester contre la condamnation de Raissouni et réclamer sa libération.
Face aux critiques, les autorités marocaines mettent en avant l'indépendance de la justice et la conformité des procédures.
Quant à sa grève de la faim, l'administration pénitentiaire (DGAPR) a soutenu que le journaliste en usait pour pousser le tribunal à le remettre en liberté.
Vendredi, le juge avait ordonné de faire venir le journaliste, absent de son procès depuis la mi-juin, afin qu'il entende sa condamnation, mais le prévenu a « refusé », d'après un procès-verbal lu au cours de l’audience à la cour d'appel de Casablanca.
Il a été condamné à cinq ans de prison, une peine assortie d'un dédommagement au plaignant de 100 000 dirhams (environ 9 500 euros), selon une journaliste qui assistait à l'audience.
A peine la sanction prononcée, des voix de protestation ont rompu le silence dans la salle et avant même la levée de l’audience, ses proches et avocats, dépités, sont partis.
« C'est une boucherie judiciaire, comment peut-on condamner un accusé en son absence ? C’est du jamais vu ! Le verdict est à l’image de ce procès », a déclaré Me Miloud Kandil, un des avocats de Raissouni.
« Même méthodes »
La défense ne plaidait plus depuis mardi pour protester contre le refus du juge d'hospitaliser puis de faire venir Raissouni devant la cour en fauteuil roulant.
Le journaliste s'était dit prêt à assister au procès, à condition « d'être transporté en ambulance et d'avoir un fauteuil roulant ».
Soulaimane Raissouni avait été arrêté en mai 2020 après une publication Facebook du plaignant --qui utilise un pseudo-- l'accusant de l'avoir « agressé sexuellement ».
Après l'arrestation du journaliste, une pétition de soutien signée par une centaine de défenseurs des droits humains, personnalités politiques et intellectuels avaient dénoncé le « ciblage des journalistes et des défenseurs des droits humains critiques à l'égard des autorités, avec les mêmes méthodes basées sur des accusations sexuelles ».
Raissouni signait régulièrement des éditoriaux critiquant les autorités dans son journal Akhbar Al Yaoum qui a cessé de paraître en mars dernier.
En 2019, sa nièce Hajar Raissouni, reporter au même journal, avait été condamnée à un an de prison pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage » avant d'être graciée par le roi Mohammed VI.
Et le fondateur de ce quotidien Taoufik Bouachrine avait été condamné à 12 ans de prison en 2018, une peine alourdie à 15 ans en appel, pour des violences sexuelles qu'il a toujours niées.