C’est grâce à un historique de positions principalement modérées et cohérentes, et d'une conviction française profondément enracinée que les différences peuvent être débattues pacifiquement et que la force ne doit être utilisée qu’en dernier recours, que la politique étrangère de la France a toujours été largement respectée dans le monde arabe. A cet effet, Emmanuel Macron ne fait pas exception.
Certes, le président français mérite d’être salué pour la sincérité et la rapidité de sa décision de venir en aide à un Liban qui vit ses heures les plus sombres. Cependant, il est possible que certains des conseils qui lui ont été donnés représentent la définition même de la folie : c'est toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent.
Je me réfère bien entendu aux commentaires de Macron lors de sa visite au Liban, au sujet du Hezbollah, soutenu par l’Iran.
Le Hezbollah « représente une partie du peuple libanais et il est également un parti élu », a déclaré Macron au site d'information américain Politico. Un simple citoyen, français de surcroit, ne devrait pas avoir besoin qu’on lui rappelle que le parti nazi d’Adolf Hitler faisait lui aussi «partie du peuple » allemand et était également un parti politique élu.
Concernant le Hezbollah, Macron a déclaré: « Aujourd'hui, il y a un partenariat entre ce parti et plusieurs autres. Si nous ne voulons pas voir le Liban sombrer dans un régime où règne la terreur au détriment du reste, il nous faudra instruire le Hezbollah et les autres partis sur leurs responsabilités. »
Vraiment, Monsieur le Président? Au nom de quelle logique proposez-vous d'instruire un parti dont vous admettez vous-même l’existence d’un bras armé terroriste adjoint à sa branche politique? C’est exactement comme si on demandait à un instituteur de taper sur les doigts d’un élève qui apporterait une arme chargée en classe.
De telles déclarations et prises de positions illogiques, parmi lesquelles le soutien de la France à l’accord sur le nucléaire iranien, nous amènent à nous demander si ce ne sont pas plutôt les propres conseillers de Macron pour le Moyen-Orient qui auraient besoin d’éducation et de cours intensifs sur l’histoire et les réalités de la région.
Comme le disait l'homme politique libanais Nadim Gemayel sur Twitter: « Accepteriez-vous, Monsieur le Président, qu'un parti français prenne les armes et intervienne militairement dans un pays européen, ou déclare la guerre à des pays alliés de la France? ».
L’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri reste celui qui a déployé le plus d'efforts pour impliquer voire assimiler le Hezbollah. Sa « récompense » fut d'être assassiné par un homme que le Tribunal spécial pour le Liban décrit comme une importante figure de la « branche terroriste » du Hezbollah. Ceux-là même qui ont pris Beyrouth par la force en 2008, lorsque leur « branche politique » n'a pas réussi à le faire démocratiquement.
« Ne demandez pas à la France de venir faire la guerre à une force politique libanaise ... ce serait absurde et insensé », a déclaré Macron. Et bien sûr, Macron a raison : personne ne s'attend à ce que la France - ou qui que ce soit - envoie ses troupes sur le terrain, ou mène une guerre impossible à gagner sans ravager davantage un pays déjà au bord de l'effondrement.
Ce que veulent les Libanais en général, ce qu’ils réclament depuis octobre dernier, c’est plutôt une refonte de l’ensemble du système politique. Cela signifie « en finir avec tout ce qui est ancien », y compris Nabih Berri, président du Parlement depuis 1992, et le président Michel Aoun, un ancien seigneur de guerre qui s'est allié au Hezbollah pour accéder à la magistrature suprême et qui a gravement endommagé l'unité des chrétiens libanais, faisant planer une grave menace sur l’avenir des quelques membres de cette communauté qui n’ont pas encore quitté le pays. Et bien sûr, d’en finir avec le Hezbollah lui-même.
Il ne fait aucun doute que Macron a déployé des efforts importants avec les meilleures intentions, mais ses propos ont causé une grande amertume chez de nombreux Libanais, à commencer par les admirateurs de la diplomatie française.
Lors de la conférence de presse qui a clôturé sa visite, Macron s'est décrit comme étant quelqu’un de pragmatique. Soit, mais si la perspective de remplacer l’ensemble de la classe politique actuelle n'est effectivement pas réaliste, la moindre des choses aurait été d'exiger publiquement que le Hezbollah dépose les armes et qu’il dissolve du même coup sa branche terroriste. Ce serait le comble de la naïveté que de s'attendre à ce que les Libanais croient à un engagement donné par n'importe quel politicien à Macron, alors que le Hezbollah dispose toujours du dernier mot grâce à ses armes.
Le président français aurait également dû refuser d’entrer dans le palais présidentiel de Baabda à moins que le président Michel Aoun ne revienne sur sa décision antidémocratique d’interdire la chaîne locale MTV en raison de sa couverture critique de sa gestion de la crise du pays.
Quant aux garanties données par Macron, il semble croire que retenir les dons promis au Liban lors de la conférence de Paris en 2018 suffirait à dissuader les leaders politiques libanais. Il ignore que cela ne punirait que le peuple libanais, et non sa classe politique corrompue.
Macron a également brandi la menace de sanctions contre des dirigeants politiques s'ils ne s'alignaient pas sur sa stratégie, mais trop tard pour faire de l’effet.
Si j’étais le conseiller du président Macron convaincu que la menace reste le seul moyen de traiter avec la classe dirigeante libanaise, j’aurai fait des sanctions contre des dirigeants politiques mon principal élément de langage.
Le président français aurait eu un tout autre accueil s'il avait montré plus de fermeté en termes de sanctions et de gel des biens. Cela aurait eu pour effet de renforcer la confiance du « Libanais moyen », qui en a assez de voir les riches et les puissants s’en tirer encore et encore sans rendre de compte.
Les détracteurs d'une approche basée sur la fermeté soutiendront qu’elle n’est pas la meilleure façon d’amener les dirigeants politiques à la table des négociations. A ceux-là, l’on pourrait rétorquer à raison que si la stratégie du président Macron proposait de nombreuses carottes, elle manquait encore cruellement de bâtons.
Faisal J. Abbas est rédacteur en chef d'Arab News.
Twitter : @FaisalJAbbas
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Ce texte est la traduction d ‘un article paru sur www.arabnews.com