TOKYO : Le président du conseil d'administration de Toshiba a été poussé vendredi vers la sortie lors d'un vote sanction rarissime au Japon d'actionnaires excédés par les mauvaises pratiques à répétition du groupe nippon et lassés de ses promesses non tenues.
A l'issue d'une assemblée générale ordinaire (AGO) de près de trois heures, les actionnaires ont voté contre les réélections de Osamu Nagayama et celle d'un autre membre du conseil d'administration, Nobuyuki Kobayashi, tout en validant les nominations de neuf autres administrateurs.
"Le groupe reconnaît la gravité du rejet de certains candidats" par les actionnaires, a réagi Toshiba dans un communiqué.
Le nouveau conseil d'administration "respecte le résultat du vote" et "entendre les inquiétudes des actionnaires et y répondre est une responsabilité essentielle du conseil", a ajouté Toshiba dans un deuxième communiqué publié dans la soirée.
Ancien capitaine d'industrie respecté au Japon, passé auparavant par le groupe pharmaceutique Chugai et par Sony, M. Nagayama, 74 ans, avait été élu président de Toshiba lors de sa précédente AGO en juillet 2020.
C'est en amont de cette AG que des dirigeants de Toshiba avaient manœuvré avec le ministère de l’Économie, du Commerce et de l'Industrie (Meti) pour intimider des actionnaires activistes, selon un rapport indépendant de trois cabinets d'avocats publié le 10 juin.
Le lancement de cette enquête indépendante n'avait été obtenu qu'au forceps par les actionnaires de Toshiba, au terme d'un bras de fer avec la direction lors d'une assemblée générale extraordinaire en mars.
Vote "choc"
Après les révélations très détaillées de ce rapport, le groupe avait réagi en limogeant notamment deux membres de son conseil d'administration. Mais cela n'a pas suffi à éteindre l'incendie.
M. Nagayama "n'avait pas assumé sa responsabilité" dans cette affaire en tant que président du conseil d'administration, selon Justin Tang, analyste de United First Partners interrogé en amont de l'AGO.
Les deux membres du conseil sacrifiés par Toshiba "n'étaient pas plus coupables que le président" et d'autres responsables du groupe qui ont tous "failli" dans l'exercice de leurs fonctions, avait encore estimé M. Tang.
Tout en s'excusant la semaine dernière auprès des actionnaires pour ce nouveau scandale, M. Nagayama avait surtout jeté la pierre sur l'ancien directeur général de Toshiba, Nobuaki Kurumatani, poussé à la démission en avril.
"En raison des habitudes au Japon, où l'approbation des résolutions des entreprises est une formalité", le résultat de l'AG de Toshiba est "un choc", a réagi Hideki Yasuda, analyste à Ace Research Institute à Tokyo.
Le groupe doit d'urgence refonder son équipe dirigeante et retrouver la confiance de ses actionnaires, mais c'est une tâche "extrêmement difficile", a-t-il ajouté.
«Calice empoisonné»
"Les actionnaires semblent vouloir que cette révolution commence par une guillotine", a observé Nicholas Smith, analyste à CLSA.
Le directeur général de Toshiba, Satoshi Tsunakawa (65 ans), qui a défendu M. Nagayama jusqu'au bout, "aura beaucoup de mal à persuader qui que ce soit que le fait de rejoindre le conseil d'administration n'est pas un calice empoisonné", a ajouté M. Smith.
En attendant, les administrateurs ont "unanimement" désigné M. Tsunakawa président par intérim, en plus de ses fonctions de directeur général, a annoncé Toshiba dans la soirée de vendredi.
Mais George Olcott, un administrateur externe qui venait à peine d'être élu vendredi pour la première fois, a préféré remettre sa démission, estimant "ne pas pouvoir contribuer à l'entreprise de la façon dont il l'espérait", a expliqué Toshiba.
Ancien fleuron industriel et technologique japonais dont les racines remontent à la fin du XIXème siècle, Toshiba a enchaîné scandales et déboires financiers depuis 2015, quand il avait révélé avoir embelli ses comptes de résultats des années durant.
Toshiba avait forcé par la suite de vendre de nombreux actifs et d'ouvrir massivement son capital à des actionnaires étrangers, dont des fonds activistes, très vigilants sur la gouvernance.
Le groupe a aussi été secoué plus tôt cette année par une offre préliminaire de rachat par CVC Capital Partners, depuis au point mort.
A la Bourse de Tokyo, le titre Toshiba a d'abord grimpé vendredi après l'annonce du départ de M. Nagayama, puis il est rapidement retombé dans le rouge. Il a finalement clôturé en baisse de 0,61% à 4.815 yens, alors que l'indice vedette Nikkei s'est apprécié de 0,66%.