PARIS : L'élection à la présidence de l'Iran d'Ebrahim Raïssi, un fidèle du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, pourrait faciliter les relations entre l'Occident et Téhéran, avec davantage de cohérence à la tête de l'Iran, mais sa ligne dure et son bilan côté droits humains pourraient être sources de problèmes, estiment des analystes.
M. Raïssi qui affrontera une économie iranienne en crise en raison des sanctions imposées par l'ex-président américain Donald Trump, ne devrait pas s'opposer à la relance de l'accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien si la nouvelle administration américaine dirigée par Joe Biden le réintègre.
Cependant, selon les experts, son hostilité envers les États-Unis - ennemi juré de l'Iran depuis quatre décennies - rend peu probable qu'il accepte les demandes occidentales d'un accord plus large qui couvrirait le programme balistique de Téhéran, l'ingérence chez ses voisins et la détention de ressortissants occidentaux en Iran.
Khamenei dirige l'Iran depuis la mort du leader révolutionnaire l'ayatollah Rouhollah Khomeini en 1989 et son poste, qui est à vie, lui donne le dernier mot sur toutes les questions de politique étrangère, même si le président n'est pas sans influence.
"Raïssi, comme Khamenei, est méfiant et sceptique face aux intentions occidentales concernant l'Iran. Il sera prudent quant à l'engagement occidental futur", a estimé Sanam Vakil, chargée de recherche principale au groupe de réflexion Chatham House, basé à Londres.
"Cela laisse présager un schéma continu de résistance anti-américaine, de nationalisme économique et de répression interne, ponctué de moments de pragmatisme", a-t-elle ajouté.
« Plus monolithique »
Après sa victoire le 18 juin, lors d'une élection marquée par une abstention record et la disqualification de rivaux importants, la République islamique aura un président en totale harmonie avec le guide suprême, "le premier, sous le règne de Khamenei dont les opinions (...) reflètent celles du leader suprême", pointe une note d'International Crisis Group (ICG).
Cela devrait contribuer à clarifier la politique occidentale à l'égard de l'Iran, brouillée, ces dernières années, par les différends internes entre l'équipe du président sortant Hassan Rohani et les partisans de la ligne dure dirigés par Khamenei.
"Une structure de pouvoir plus monolithique sera moins embourbée dans les luttes intestines, qui ont souvent entravé le programme de Rouhani et de ses envoyés", ont commenté les analystes d'ICG Ali Vaez et Naysan Rafati.
Khamenei a précédemment travaillé avec quatre présidents, dont aucun n'était en accord total avec lui. Hachémi Rafsandjani (1989-1997) était un rival politique de longue date, Mohammad Khatami (1997-2005) un réformateur, Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) un franc-tireur qui s'est brouillé avec lui lors de son second mandat ; enfin, Hassan Rohani était favorable à de meilleurs liens avec l'Occident.
Un dialogue « compliqué »
M. Raïssi, 60 ans, est également le premier président iranien à être personnellement sanctionné par les États-Unis avant même son élection, par un décret du Trésor de novembre 2019, qui cite son bilan en matière de droits de l'Homme, notamment comme chef de l'Autorité judiciaire auquel il s'est hissé après une carrière entamée à l'âge de 20 ans en tant que procureur régional.
Amnesty international l'accuse d'avoir été membre d'une "commission de la mort" responsable de l'exécution de milliers de prisonniers en 1988, alors qu'il était procureur adjoint du tribunal révolutionnaire de Téhéran.
"Le passé de Raïssi fait de lui le premier président iranien sur lequel les groupes nationaux et internationaux de défense des droits de l'homme souhaitent que des enquêtes soient menées pour crimes contre l'humanité, avant même qu'il n'ait commencé son mandat", a relevé Ali Reza Eshraghi dans une étude sur les élections pour le Conseil européen des relations extérieures (ECFR).
"Cette dynamique va certainement compliquer le dialogue entre l'Iran et l'Occident dans les années à venir, même si son administration est susceptible de soutenir le rétablissement de l'accord nucléaire pour le moment", a-t-il ajouté.
Les négociations laborieuses menées à Vienne pour relancer l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) ont progressé ces derniers jours, avec une réelle perspective de compromis avant même l'entrée en fonction de M. Raïssi dans un mois.
L'économie iranienne a plongé dans la crise avec les sanctions, qui seraient progressivement levées si les États-Unis réintégraient l'accord, et les dirigeants ont tout intérêt à ce qu'il soit pleinement mis en œuvre.
"Les sanctions levées, le potentiel économique développé au cours de la dernière décennie serait libéré et la dynamique serait complètement différente", a indiqué Bijan Khajehpour, associé directeur du cabinet de conseil Eurasian Nexus Partners, basé à Vienne.