En Tunisie, un cimetière-jardin pour les migrants, «damnés de la mer»

Le cimetière palatial et fleuri accueille les dépouilles de migrants inconnus morts sur le chemin de l'Europe. (AFP)
Le cimetière palatial et fleuri accueille les dépouilles de migrants inconnus morts sur le chemin de l'Europe. (AFP)
Des ouvriers construisent des dans le cimetière pour les migrants qui se sont noyés en traversant la Méditerranée dans l'espoir d'une vie meilleure en Europe. (AFP)
Des ouvriers construisent des dans le cimetière pour les migrants qui se sont noyés en traversant la Méditerranée dans l'espoir d'une vie meilleure en Europe. (AFP)
Des ouvriers construisent des dans le cimetière pour les migrants qui se sont noyés en traversant la Méditerranée dans l'espoir d'une vie meilleure en Europe. (AFP)
Des ouvriers construisent des dans le cimetière pour les migrants qui se sont noyés en traversant la Méditerranée dans l'espoir d'une vie meilleure en Europe. (AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 09 juin 2021

En Tunisie, un cimetière-jardin pour les migrants, «damnés de la mer»

  • Les migrants enterrés là, «damnés de la mer», ont «affronté le Sahara, des gangsters, des terroristes», parfois la torture ou un naufrage
  • «Femme robe noire, plage Hachani», «Homme tricot noir, plage Hôtel des 4 Saisons»: plus de 200 tombes blanches numérotées sont déjà alignées

ZARZIS : A peine inauguré et déjà à moitié plein, dans le sud de la Tunisie, un cimetière palatial et fleuri accueille les dépouilles de migrants inconnus morts sur le chemin de l'Europe, pour leur rendre leur dignité et peut-être un jour leur nom.

Porte traditionnelle du XVIIe, allées de céramiques peintes à la main et, sous une harmonieuse coupole blanche, une salle de prière pour toutes les religions: le "Jardin d'Afrique" est l'oeuvre de Rachid Koraïchi, artiste et homme de foi algérien.

Les migrants enterrés là, "damnés de la mer", ont "affronté le Sahara, des gangsters, des terroristes", parfois la torture ou un naufrage, souligne-t-il. "Je voulais leur faire un début de paradis", après l'enfer de la traversée.

Fin 2018, il achète à Zarzis, près de la frontière libyenne, ce terrain entouré d'oliviers, qui sera inauguré mercredi par la directrice de l'Unesco Audrey Azoulay.

"Femme robe noire, plage Hachani", "Homme tricot noir, plage Hôtel des 4 Saisons": plus de 200 tombes blanches numérotées sont déjà alignées, entourées de cinq oliviers symbolisant les piliers de l'islam et douze vignes pour les apôtres chrétiens.

Des jasmins, galants de nuits et autres arbustes embaument ce lieu où les corps arrivent parfois en état de putréfaction.

Partis de Libye ou parfois de Tunisie, ils sont repêchés au large, ou échouent sur les plages du sud tunisien en raison des courants marins. 

Vicky, une Nigériane de 26 ans, arrivée en Tunisie à pied après plusieurs vaines tentatives de rejoindre l'Italie depuis la Libye, a la gorge serrée en balayant les allées.

"Aller en Europe, c'était mon rêve pour faire de la mode, mais j'ai vécu un enfer", lance-t-elle. "Quand je vois ça, je ne suis plus sûre de vouloir reprendre la mer".

«Lieu symbole»

Des bâtiments sont prévus pour faire des autopsies sur place, afin de faciliter le travail d'identification.

Les analyses sont actuellement effectuées par l'hôpital de Gabès, à 140 kilomètres de là, obligeant les autorités à transporter les dépouilles dans des conditions précaires.

Une famille libyenne est venue se recueillir sur la tombe d'un jeune homme, identifié grâce à des compagnons de voyage.

"On leur a proposé de ramener le corps chez eux, mais le père a répondu 'Dieu a abandonné la Libye, gardez le ici'", se souvient Rachid Koraïchi.

L'artiste de 74 ans, exposé à Londres, New York ou Paris, a lui-même perdu un frère, emporté par le courant lors d'une baignade en Méditerranée. 

Il a conçu ce jardin "pour aider les familles à faire leur deuil, en sachant qu'il existe un lieu d'enterrement digne".

"C'est aussi un lieu symbole, comme la tombe du soldat inconnu, car tout le monde est responsable de ce drame", souligne-t-il.

Cadre de la Tijaniyya, influente confrérie soufie, il a lancé ce projet, qu'il finance entièrement, après avoir eu vent des difficultés de Zarzis, grosse ville de pêcheurs, à enterrer les dizaines de corps arrivant chaque été.

Depuis le début des années 2000, la municipalité, l'une des rares à prendre en charge les dépouilles de migrants dans la région, en a inhumé plus de 1 000, venus d'Afrique, d'Asie ou de bourgs voisins.

"Beaucoup de la jeunesse de Zarzis est partie vers l'Europe par la mer, il y a eu des morts, et quand on voit ces émigrés là, on voit nos enfants", explique à l'AFP le maire, Mekki Lourraiedh.

Des morts chaque semaine 

Dans l'ancien cimetière, un terrain sablonneux près d'une ancienne décharge, les cantonniers municipaux aidés de bénévoles ont enterré plus de 600 inconnus.

Seule la sépulture d'une Nigérienne, Rose-Marie, est marquée par un peu de béton et quelques fleurs.

"Si on avait les moyens on ne laisserait pas le cimetière dans cet état", reconnaît le maire.

Ce terrain municipal était presque plein lorsqu'une centaine de corps sont arrivés en juillet 2019. Il a fallu creuser les premières tombes dans le Jardin d'Afrique avant même le début des travaux.

Depuis, les morts continuent d'affluer chaque semaine, surtout l'été, saison des départs marquée cette année par une nette augmentation des traversées depuis la Tunisie ou la Libye voisine, qui peine à sortir d'une décennie de conflits.

Plus de 200 briques blanches marquent les emplacements vides - mais M. Koraïchi craint qu'ils ne soient tous occupés d'ici la fin de l'été.

"On a déjà prévu une porte et demandé d'acheter le terrain contigu, pour agrandir le cimetière."


Des luttes à l'innovation : Comment le calligraphe saoudien Abdulaziz Al-Rashedi a révolutionné l'écriture arabe

3punt 5. (Fourni)
3punt 5. (Fourni)
Short Url
  • « Je ressens une lumière sacrée dans les lettres », déclare Abdulaziz Al-Rashedi

DUBAÏ : La première passion du calligraphe saoudien et professeur d'arts Abdulaziz Al-Rashedi a toujours été le stylo. Son intérêt pour l'écriture a commencé à l'école primaire dans les années 1980, dans sa ville natale de Médine.

Al-Rashedi parle de tenir un stylo comme un musicien pourrait parler de son instrument. Aux yeux du calligraphe, l'écriture est un acte artistique, comme une danse, qui possède sa propre magie.

« Ce que j'aimais dans le stylo, c'était la façon dont l'encre en coulait », confie-t-il à Arab News. « Le stylo m'a conduit à mon amour pour la calligraphie arabe. »

--
Al-Rashedi parle de la tenue d'un stylo comme un musicien parlerait de la tenue de son instrument. (Fourni)

Cependant, il a dû faire face aux défis posés par l'environnement social conservateur du Royaume dans les années 1980 et 1990.

« Les gens ne considéraient pas l'art comme quelque chose d'important. À cette époque, ils pensaient que l'art ne rapportait pas d'argent. Pour eux, c'était une perte de temps », explique-t-il. « Dans un tel environnement déprimant, je souffrais du manque d'intérêt des gens. Ils disaient que l'écriture me distrairait de mes études. Mais en réalité, cela m'encourageait à étudier. »

Son intérêt pour la calligraphie n'a pas échappé à tout le monde. Le père d'Al-Rashedi, aujourd'hui décédé, l'a toujours soutenu.  

--
3punt 2. (Fourni)

« Il croyait en l'écriture et en sa préservation », déclare Al-Rashedi. « Il pensait que je faisais quelque chose d'important de ma vie, même si d'autres pensaient le contraire. Ils comparaient cela à des gribouillages. En réalité, je faisais de l'art tout seul. Aucun de mes amis ne partageait cet intérêt avec moi et il n'y avait aucun institut de calligraphie pour encourager ce talent. La situation était très difficile. »

Mais en 1993, Al-Rashedi a appris qu’il existait en effet un maître calligraphe saoudien vivant à Médine : Ahmad Dia. Ce dernier a gentiment accepté de lui enseigner les bases de la calligraphie arabe. Et, peut-être tout aussi important, il l’a fait dans sa maison, qu'Al-Rashedi compare à une école, un musée et un lieu de rencontre pour calligraphes.

« J'étais jeune, mais il me traitait comme un homme », se souvient l'artiste. « Pour nous, les calligraphes, il était comme un père spirituel, qui a planté en nous une graine de détermination. Il nous a toujours encouragés et ne nous a jamais réprimandés si notre écriture n'était pas parfaite. »

--
3punt 4. (Fourni)

Al-Rashedi est resté en contact avec son mentor jusqu'à la mort de Dia en 2022, lors de la pandémie de COVID. « Lorsqu'il est mort, c'est comme si la lumière s'était éteinte », confie-t-il.

Al-Rashedi s'est également formé en recopiant les œuvres d'une autre figure importante : Hashem Al-Baghdadi, le calligraphe et éducateur irakien influent, qui a publié des ouvrages sur les règles de la calligraphie arabe. Al-Rashedi décrit l'époque avant les réseaux sociaux comme une « période véritablement sombre », où il n'y avait aucune opportunité d'organiser des expositions ou de partager son travail avec les autres.

« Les gens ne communiquaient pas entre eux. C’était une période qui manquait (d’opportunités) et même de bons matériaux, comme des stylos et du papier », se souvient-il.

Mais avec l’avènement des réseaux sociaux, notamment Facebook, et l’ouverture de quelques galeries d’art, dont Athr Gallery à Djeddah en 2009, les choses ont considérablement changé. Aujourd’hui, Al-Rashedi peut partager ses œuvres sur Instagram et d’autres plateformes, montrant les compétences qu’il a perfectionnées au cours de trois décennies de pratique.

--
Sa fascination pour l'écriture a commencé à l'école primaire, dans les années 80, dans sa ville natale de Madinah. (Fourni)

La calligraphie arabe est une forme d’art respectée à l’échelle internationale, existant depuis des milliers d’années, utilisée dans les textes islamiques et présente sur des monuments à travers le monde. Quel est donc son secret de longévité ?

« Je me demande souvent pourquoi les courbes de la calligraphie arabe fascinent les gens depuis si longtemps, et je pense que cela a inévitablement un lien avec sa sainteté », explique-t-il. « Allah a été une source d’inspiration pour les calligraphes et leur innovation dans l’écriture. Je ressens une lumière sacrée dans les lettres de la calligraphie arabe. »

Mais Al-Rashedi pense également que, pendant de nombreuses années, la calligraphie est restée figée dans une ornière, sans être touchée par l’innovation ou la créativité modernes.

--
3punt 6. (Fourni)

« Beaucoup de calligraphes ont littéralement affirmé que la calligraphie arabe avait atteint sa limite et que personne ne pouvait y ajouter quoi que ce soit de nouveau », dit-il. « Une telle idée est incorrecte. »

En effet, Al-Rashedi a inventé sa propre forme de calligraphie arabe, qu’il appelle « 3punt ». (Il explique que le nom fait référence à la taille des lettres, qui sont écrites à l’aide de trois stylos différents.)

« Cela repose sur l’idée de réduire l’épaisseur des lettres. Habituellement, un seul stylo est utilisé en calligraphie arabe. Mais j’ai découvert que l’épaisseur traditionnelle de l’écriture arabe et l’utilisation d’un seul stylo empêchent l’ajout de nouvelles formes d’écriture au système. »

Basée sur un ensemble de règles strictes, la calligraphie 3punt d’Al-Rashedi contient 55 « sous-types d’écriture », explique-t-il. Elle possède une légèreté et une élégance propres, avec des lignes fluides et soigneusement chorégraphiées en écriture arabe fine.

En fin de compte, Al-Rashedi estime que la calligraphie arabe est une question de liens.  

« Si nous regardons l’écriture latine ou chinoise, sur des lettres comme ‘n’, ‘e’ ou ‘r’, elles se composent de parties distinctes. Mais avec la calligraphie arabe, vous pouvez connecter six ou sept lettres d’un seul trait », dit-il. « Sans aucun doute, l’écriture arabe — en tant que forme d’art — est supérieure à d’autres types d’écriture. »

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com 


Inauguration d'une exposition Christian Dior à Riyad

Une exposition célébrant la vie et l'œuvre du couturier Christian Dior est désormais ouverte au  Musée national d'Arabie saoudite dans le cadre du festival Riyadh Season de cette année. (Photo fournie)
Une exposition célébrant la vie et l'œuvre du couturier Christian Dior est désormais ouverte au  Musée national d'Arabie saoudite dans le cadre du festival Riyadh Season de cette année. (Photo fournie)
Short Url
  • «Christian Dior: couturier du rêve» est une collaboration entre la maison de couture française et l'Autorité générale pour le divertissement d'Arabie saoudite
  • L'événement, qui se tient jusqu'au 2 avril, explore l'héritage de Dior et de ses successeurs à travers un récit inédit

RIYAD: Une exposition célébrant la vie et l'œuvre du créateur de mode Christian Dior est désormais ouverte au Musée national d'Arabie saoudite dans le cadre du festival Riyadh Season de cette année.

«Christian Dior: couturier du rêve», une exposition couvrant plus de 75 ans de créativité et de design, ainsi que les œuvres qu'il a inspirées, est une collaboration entre la maison de couture française et l'Autorité générale pour le divertissement d'Arabie saoudite.

--
«Christian Dior: couturier du rêve» est une collaboration entre la maison de couture française et l'Autorité générale pour le divertissement d'Arabie saoudite. (Photo fournie)

L'événement, qui se tient jusqu'au 2 avril, explore l'héritage de Dior et de ses successeurs à travers un récit inédit spécialement conçu pour l'exposition par l'historienne de l'art Florence Muller et la scénographe Nathalie Crinière.

--
L'exposition couvre plus de 75 ans de créativité et de design et le travail que Dior a inspiré. (Photo fournie)

Parmi les points forts de l'exposition figurent des hommages à certains des grands classiques de Dior, tels que Miss Dior et J'adore, ainsi qu'un hommage au sac Lady Dior, sous la forme du projet Dior Lady Art.

Faisal Bafarat, directeur général de l'Autorité générale pour le divertissement, a officiellement inauguré l'exposition mercredi. Les billets sont disponibles sur la plateforme WeBook.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


La diva libanaise Fairouz souffle ses 90 bougies

La diva libanaise Fairuz se produit lors d'un rare concert à Beyrouth le 7 octobre 2010. (AFP)
La diva libanaise Fairuz se produit lors d'un rare concert à Beyrouth le 7 octobre 2010. (AFP)
Short Url
  • Dernière légende vivante de la chanson arabe, Fairouz a soufflé jeudi ses 90 bougies alors que son pays, le Liban qu'elle a tant célébré, est plongé dans une guerre meurtrière entre le Hezbollah et Israël
  • Les internautes ont enflammé la Toile en diffusant les chansons de la diva, rare symbole d'unité nationale dans le pays divisé, alors que les médias de tous bords lui rendaient hommage

BEYROUTH: Dernière légende vivante de la chanson arabe, Fairouz a soufflé jeudi ses 90 bougies alors que son pays, le Liban qu'elle a tant célébré, est plongé dans une guerre meurtrière entre le Hezbollah et Israël.

Les internautes ont enflammé la Toile en diffusant les chansons de la diva, rare symbole d'unité nationale dans le pays divisé, alors que les médias de tous bords lui rendaient hommage.

En 2020, le président français Emmanuel Macron, en visite à Beyrouth, s'était rendu au domicile de Fairouz et l'avait décorée de la Légion d'honneur.

"A celle qui incarne l'âme de cette région avec dignité, un bel anniversaire", a-t-il écrit jeudi sur son compte Instagram.

"La voix de Fairouz est mon pays", a pour sa part écrit sur Facebook le célèbre compositeur libanais Marcel Khalifé.

Après s'être produite pendant plus d'un demi-siècle de Beyrouth à Las Vegas, en passant par Paris et Londres, la star n'apparait plus en public depuis plus d'une décennie.

"Quand vous regardez le Liban aujourd'hui, vous voyez qu'il ne ressemble aucunement au Liban que je chante", regrettait la diva dans une interview au New York Times en 1999, en allusion aux décennies de guerres et de destructions.

Au plus fort de la guerre civile, elle avait chanté "Je t'aime, Ö Liban, mon pays" ("Bhebbak ya Lebnane"), une chanson devenue iconique.

Fairouz a exalté son Liban natal mais également l'amour, la liberté et la Palestine.

Elle a donné vie aux paroles de grands poètes arabes --les Libanais Gibrane Khalil Gibrane, Saïd Akl ou l'Egyptien Ahmed Chawki--, tandis que ses chants patriotiques se sont incrustés dans la mémoire des Libanais et du reste du monde arabe.

Nouhad Haddad de son vrai nom, elle est née en 1934 dans une modeste famille chrétienne qui habitait le quartier de Zokak el-Blatt, visé lundi par une frappe israélienne.

Engagée à la radio, le compositeur Halim al-Roumi, impressionné, lui donne son surnom.

Dans les années 1950, elle épouse le compositeur Assi Rahbani qui, avec son frère Mansour, révolutionne la chanson et la musique arabe traditionnelles en mêlant morceaux classiques occidentaux, russes et latino-américains à des rythmes orientaux, sur une orchestration moderne.

C'est après ses premiers concerts au Festival international de Baalbeck, au milieu des ruines de ce site libanais antique près duquel s'abattent actuellement les bombes israéliennes, que la carrière de Fairouz s'envole.

Adulée par les aînés, elle devient l'icône des jeunes lorsque son fils Ziad, enfant terrible de la musique libanaise, lui composera des chansons influencées par des rythmes de jazz.