BRUXELLES : Les secteurs de l’industrie gazière et nucléaire ont intensifié leur lobbying pour obtenir des changements de dernière minute dans les réglementations européennes définissant les investissements durables. Ils craignent que leur exclusion d’une nouvelle « liste verte » ne les prive de milliards de dollars de financement.
L’accord sur la création de la « liste verte » – un système de classification des activités économiques durables ou taxonomie – de l’Union européenne (UE) doit être finalisé cette année, et pourrait s’avérer crucial, dans la mesure où l’énergie nucléaire et la plupart des usines de traitement de gaz naturel et des gazoducs ont été exclus d’une liste provisoire publiée en mars.
En obligeant les fournisseurs de produits financiers à faire état des investissements qui répondent aux critères climatiques à partir de la fin de 2021, les nouvelles réglementations de l’UE sur la finance verte sont conçues pour canaliser les liquidités vers des projets qui soutiennent les objectifs climatiques de l’Union.
Au cours des quatre mois qui ont suivi la publication des réglementations, des représentants des secteurs gazier et nucléaire ont tenu 52 réunions – en personne ou virtuellement – avec des responsables de l’Union européenne, selon des fichiers de l’UE analysés par Reclaim Finance, une association à but non lucratif.
Dans l’ensemble, les représentants du secteur ont tenu depuis le début de 2018 un total de 310 réunions avec les responsables politiques de l’UE, selon des données publiées le 8 juillet dernier.
Les entreprises de la filière nucléaire, en particulier, ont intensifié leur lobbying. Sur 36 réunions tenues au cours des trente derniers mois, 10 ont eu lieu depuis le mois de mars.
Les demandes affluent à Bruxelles pour que la réglementation garantisse que les dépenses de son fonds de redressement de la Covid-19 de 750 milliards d’euros (888 milliards de dollars) soient allouées à des projets verts. L’argent commencera à être mis en circulation en 2021, ce qui signifie que tout retard dans les réglementations pourrait contrecarrer ce projet.
Les militants pour le climat ont exhorté l’UE à ne pas céder aux pressions des secteurs pétrolier et gazier. « Si les institutions et les États membres de l’UE veulent vraiment construire une Europe durable faisant face à l’urgence climatique, ils doivent se libérer des lobbyistes des énergies fossiles », a déclaré Paul Schreiber, militant de Reclaim Finance.
L’un des principaux reproches des deux secteurs énergétiques porte sur leur exclusion du groupe d’experts financiers qui a présenté les propositions émises en mars.
Une nouvelle plate-forme européenne sur le financement durable sera mise en place dans le cadre de la taxonomie le mois prochain – et les deux secteurs se bousculent pour faire partie du groupe.
Rebecca Vaughan, analyste auprès d’InfluenceMap, une organisation à but non lucratif dont les données sur le lobbying sont utilisées par les investisseurs, a déclaré que la plate-forme était probablement la « dernière chance » du secteur gazier pour changer les réglementations.
Les quatre groupes lobbyistes du gaz et du nucléaire interviewés par Reuters ont demandé à faire partie de la plate-forme de financement durable, qui a également reçu plus de 500 autres requêtes.
Le groupe actuel d’experts – dont les 35 membres comprennent des gestionnaires d’actifs, des organisations non gouvernementales, des banques et deux représentants du secteur de l’énergie – a précisé que les centrales à gaz ne devraient être qualifiées de « durables » que si elles respectaient les limites strictes d’émissions.
Les experts expliquent que ces limites seraient certainement dépassées, à moins que le secteur ne capture les gaz à effet de serre qu’il produit, et que l’hydrogène « vert » pourrait jouer un rôle important. Les investissements visant à développer les gazoducs ne seraient pas non plus qualifiés de « durables », même si ce pourrait être le cas pour les infrastructures destinées à l’utilisation de l’hydrogène produit à partir de l’énergie renouvelable.
Les groupes de pression de l’Association internationale des producteurs de pétrole et de gaz (IOGP), d’Eurogas et de FuelsEurope ont tous déclaré à Reuters que les règles de financement durable devraient admettre davantage de réductions progressives dans les émissions.
« En un sens, le rapport a été établi comme si nous devions faire la transition demain, a déclaré Kamila Piotrowska, directrice principale de l’IOGP pour la stratégie politique. C’est tout un chemin à faire, et nous avons besoin de ces activités de transition. »
Ils souhaitent que la taxonomie puisse inclure une liste d’activités dites « de transition », y compris celles des centrales à gaz, que certains États membres de l’UE envisagent d’utiliser pour diminuer leur forte dépendance à l’égard des centrales au charbon plus polluantes.
Les groupes de pression, notamment Eurogas, veulent également que les gazoducs soient classés comme durables, s’ils peuvent se convertir à l’avenir dans le gaz à faible émission de carbone.
« Il y a un danger réel que les usines de traitement de gaz en Europe soient considérées comme non durables, et donc incapables de lever tout financement pour quoi que ce soit », a déclaré John Cooper, directeur général de l’association de l’industrie du raffinage FuelsEurope.
FuelsEurope et l’IOGP ont également demandé à la commission d’envisager la prolongation du délai de mise en conformité des entreprises.
Interrogée sur la possibilité d’inclure des activités de transition, une porte-parole de la Commission européenne explique qu’elle étudie tous les arguments sur ce qui devrait être inclus, sur la base des recommandations de son groupe d’experts et des commentaires du secteur.
Le groupe d’experts de l’UE affirme que ses critères sont fondés scientifiquement et conçus pour inciter à réduire rapidement les émissions au niveau nécessaire afin de donner au monde une chance d’éviter un changement climatique catastrophique.
« Un grand nombre de personnes pensent encore que la transition consiste en de petites étapes progressives, et il est malheureusement trop tard pour cela », a déclaré Helena Vines Fiestas, responsable mondiale de la gestion et de la politique auprès de BNP Paribas Asset Management, et membre du groupe d’experts.
Les groupes du secteur nucléaire affirment que l’énergie mérite le label durable, en raison de ses faibles émissions de carbone et de ses sites d’élimination sécurisée des déchets.
Ils craignent que si le nucléaire n’est pas jugé durable, le coût du capital pour les centrales électriques n’augmente – une préoccupation pour un secteur où des projets phares, comme le réacteur britannique Hinkley Point C, rencontrent des difficultés à faire face à une augmentation vertigineuse des coûts.
Pour aider à faire passer le message, plusieurs groupes de lobbying nucléaire ont sollicité l’aide du public, tweetant pour encourager les adhésions à une consultation de l’UE en avril sur les réglementations proposées – et donnant des suggestions sur ce qu’il faut écrire.
Cela a permis de générer 126 commentaires à la consultation de l’UE de la part de citoyens concernés, demandant que l’énergie nucléaire soit qualifiée de « durable » – près d’un tiers des réponses reçues, selon l’analyse d’InfluenceMap.
Le groupe d’experts financiers était divisé sur la façon d’étiqueter l’énergie nucléaire. La commission a demandé à son aile scientifique de faire un compte-rendu sur la question l’année prochaine.
Des groupes de pression ont déclaré à Reuters qu’ils étaient convaincus que l’énergie nucléaire serait finalement considérée comme durable, mais ils veulent que la section énergétique de la taxonomie soit retardée jusqu’à ce que la rédaction du rapport.
La porte-parole de la commission précise qu’il est toujours prévu de compléter les réglementations du financement durable cette année, et qu’elles pourraient être modifiées à une date ultérieure pour satisfaire le nucléaire, en fonction des résultats du rapport scientifique.
Gaz et nucléaire se battent pour le label d’investissement "vert" de l’UE
Short Url
https://arab.news/65yvb
Publié le
Gaz et nucléaire se battent pour le label d’investissement "vert" de l’UE
- La campagne des lobbyistes se déroule dans la crainte que les règles de financement durable ne privent les géants de l’énergie de milliards de financement
- Les militants pour le climat ont exhorté l’UE à ne pas céder aux pressions des secteurs pétrolier et gazier
© 2024 propriété intellectuelle de SPECIAL EDITION FZ sous licence de SAUDI RESEARCH & PUBLISHING COMPANY. Tous droits réservés et soumis aux conditions d’utilisation