Cela fait bien longtemps que les plus grands analystes de risque politique sont conscients d'un vilain secret qui se cache au cœur des études analytiques des élections : La plupart de ces études ne sont pas d'une grande utilité.
Ainsi, de nombreuses similitudes en termes de stratégie politique unissent les éventuels gagnants d'une élection - à savoir leur approche des grandes questions stratégiques que tout parti dirigeant doit affronter. Ces similitudes donnent à la victoire une allure de course de chevaux superficielle plutôt qu'une compétition à défendre des principes divergents, qui changeront radicalement la trajectoire d'un pays. Le plus souvent, la majorité des acteurs politiques d'un pays partagent des intérêts nationaux durables et bien définis. Les élections tranchent certes sur une question importante, à savoir qui est le mieux placé pour gérer ces intérêts. Cependant l'identité de cette personne revêt une importance secondaire, dans la mesure où les intérêts en eux-mêmes sont approuvés de façon écrasante par toutes les factions de l'élite politique d'un pays.
Les élections législatives allemandes prévues en septembre prochain fournissent un exemple tout à fait typique. Bien que les Verts, en pleine ascension, disposent de réelles chances de remporter une victoire au Parlement - au terme de 16 années de règne assoupi de la chancelière de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), Angela Merkel - au final, un tel changement concerne le style plutôt que le fond. Cela tient de la dominance du Merkellisme centriste, sous une forme ou une autre, sur le nouveau gouvernement, peu importe si c'est la candidate des Verts Annalena Baerbock ou le leader de la CDU Armin Laschet qui triomphera.
Les Verts, ainsi que le CDU/Union chrétienne-démocrate, préconisent tous deux que l'Allemagne continue à faire partie de l'OTAN. Pour sa part, M. Laschet affirme que l'Allemagne doit atteindre l'objectif de 2 % de son produit intérieur brut (PIB) qu’elle consacrera aux dépenses de défense, un objectif fixé par l’Otan- malheureusement, Berlin profite des dépenses de défense des États-Unis et ne consacre actuellement que 1,57 % de son PIB à la défense. Cependant, M. Laschet ne précise pas la manière dont il entend atteindre cet objectif, ce qui laisse supposer qu'il n'y parviendra pas. Mme Baerbock est un peu plus franche et remet en question l'objectif de 2 %. Au bout du compte, l'Allemagne de M. Laschet ou celle de Mme Baerbock continuera à adhérer à l'OTAN, sans pour autant s'engager sérieusement à dépenser de l'argent. Elle marchera donc sur les pas de Mme Merkel.
En ce qui concerne l'Union européenne, là encore les trois dirigeants reprennent le même refrain. Tant Laschet que Baerbock préconisent une intégration plus poussée. Toutefois, Mme Baerbock déverse son enthousiasme de manière plus détaillée et fait entendre que Bruxelles sera capable d'émettre une dette commune. Mais les deux candidats sont largement favorables à l'Union européenne, à l'instar de Mme Merkel, une fois de plus.
C'est la même chanson pour ce qui est de la Chine. Laschet et Baerbock sont tous deux préoccupés par le respect des droits de l'homme à Pékin. Néanmoins, cette préoccupation cède le pas à la nécessité de se rapprocher de ce marché, le troisième plus grand marché d'exportation de l'Allemagne en 2019. Au final, si les sondages placent les Verts et la CDU nez à nez, déterminer qui l'emportera en termes de politique est beaucoup de bruit pour rien au niveau stratégique.
Or ce constat n'est pas valable pour les élections présidentielles françaises qui auront lieu en avril-mai 2022. Les sondages menés par Politico à la fin du mois de mai indiquent que le président sortant Emmanuel Macron n'a qu'une légère avance sur la candidate d'extrême droite Marine Le Pen en ce qui concerne les intentions de vote au second tour, soit 54 % contre 46 %. Pour illustrer l'importance de cette différence, rappelons-nous que les deux candidats s'étaient affrontés au second tour de la présidentielle française en 2017 que Macron avait emporté largement avec 66 %. Cette fois-ci, le résultat s'annonce bien plus serré.
Au regard de la direction stratégique globale de la France, les deux principaux candidats sont on ne peut plus éloignés en termes de politique.
Dr. John C. Hulsman
Au regard de la direction stratégique globale de la France, les deux principaux candidats sont on ne peut plus éloignés en termes de politique. Ainsi, Macron souhaite que la France reste dans l'OTAN, alors que Le Pen demande que Paris abandonne le commandement militaire. Macron souhaite voir une Union européenne plus intégrée qui jouerait le rôle d'une grande puissance supra-nationale dans le sens où elle serait capable d'émettre une dette commune et de disposer d'une véritable aile militaire. Le Pen, quant à elle, souhaite remanier Bruxelles en profondeur et de l'intérieur pour en faire un simple club d'États-nations européens.
Macron tolère la mondialisation et le libre-échange, contrairement à Le Pen qui y voit un démon qui ronge les entrailles de la France. Sur tous ces points essentiels, les deux candidats divergent radicalement quant à la direction que la France doit prendre si elle souhaite prospérer dans cette nouvelle ère délirante.
En conclusion, les élections en Allemagne feront certes beaucoup de bruit et de faux drames, sans que le nom du vainqueur n'ait trop d'importance en termes d'analyse. En effet, les Verts tout comme la CDU sont des membres à part entière de l'establishment politique européen commun, même si les Verts détestent (vu leur passé radical ) être catalogués sous cet angle.
En revanche, le vote en France sera déterminant quant à l'avenir proche de l'Europe. Ne perdez donc pas de vue l'élection française. La victoire de Le Pen anéantirait les fondements de la Cinquième République française ainsi que la conception commune de son élite vis-à-vis de la position stratégique de la France dans le monde. La victoire de Le Pen correspondrait à cette expression politique la plus usitée : Une véritable révolution dans l'histoire de la France mais aussi dans celle de l'Europe. Dans cette fable des deux élections, c'est le deuxième vote qui a du poids en termes de risque politique.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
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Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com