PARIS : Oiseaux des villes et des champs voient leurs populations s'effondrer à cause des activités humaines en France, alertent lundi des scientifiques, demandant d'agir plus vite et plus fort pour changer les pratiques agricoles ou pour renoncer à certaines chasses.
Entre 1989 et 2019, des ornithologues bénévoles ont suivi l'évolution des 123 espèces d'oiseaux les plus communes en France via le programme de Suivi temporel des oiseaux Communs (STOC). Les oiseaux servent d'indicateurs pour suivre l'état de la biodiversité en Europe.
En 2018 déjà, le Muséum national d'histoire naturel (MNHN) et le CNRS s'alarmaient d'un déclin à "un niveau proche de la catastrophe écologique".
Trois ans plus tard, le MNHN, l'Office français de la biodiversité (OFB) et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) sont sur la même ligne. "Le STOC dresse un constat relativement implacable en matière de déclin des populations d'oiseaux", a constaté Bruno David, président du muséum, lors d'une conférence de presse.
Le bilan n'est pas homogène. Quarante-trois espèces sont en déclin, comme le chardonneret élégant, la tourterelle des bois ou l'hirondelle des fenêtres. Les espèces qui souffrent le plus sont celles vivant en milieu urbain (28% d'oiseaux en moins depuis 1989) et celles vivant dans des milieux agricoles (-30% depuis 1989).
"36% des espèces évaluées sont en déclin", a détaillé Caroline Moussy de la LPO, dont beaucoup d'espèces communes, "35% sont stables mais c'est une stabilité relativement fragile, et on a 26% d'espèces en augmentation", des espèces généralistes ou forestières ou encore des espèces emblématiques comme la cigogne blanche.
En cause dans les villes, "la transformation des bâtiments et la rénovation des façades, qui détruisent les cavités dans lesquelles certaines espèces nichent", "l'artificialisation toujours plus forte", "l'intensification de l'agriculture à proximité des zones urbanisées", la pollution due aux transports et aux activités industrielles.
«Hécatombe» dans les champs
En milieu agricole, "c'est une hécatombe", dénonce Benoit Fontaine, scientifique au MNHN. En cause, l'intensification de l'agriculture et l'usage de pesticides, "en particulier les néonicotinoïdes", les grandes parcelles et la disparition des haies, ou encore la mécanisation.
Le gouvernement a autorisé en 2020 une réintroduction temporaire des néonicotinoïdes, dont l'effet néfaste sur les abeilles est documenté.
"Les associations demandent la prise en compte de la biodiversité dans la prochaine Politique agricole commune (PAC)" dont les discussions sont en cours, a rappelé Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO.
"Les perspectives françaises ne sont pas satisfaisantes", a-t-il poursuivi. "Si on ne change pas assez fondamentalement les pratiques, on n'en sortira pas.".
Les négociations sur la prochaine PAC ont achoppé sur les règles environnementales destinées à "verdir" l'agriculture européenne et reprendront en juin.
En France, "il y a ponctuellement une bonne volonté des agriculteurs pour faire autrement", pas de changement de paradigme, a regretté Allain Bougrain-Dubourg.
En forêt, la situation est moins mauvaise avec une baisse des effectifs de 10% en 30 ans.
Les oiseaux doivent aussi composer avec le réchauffement climatique, qui conduit certaines espèces à migrer plus au Nord, mais pas assez vite, le braconnage ou la chasse.
La France, qui accueillera en septembre le Congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), autorise la chasse d'oiseaux classés sur sa Liste rouge des espèces menacés comme la tourterelle des bois (chasse finalement suspendue par le Conseil d'Etat pour 2020-2021), s'est étonné Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO.
Il faut mettre fin à "des pratiques cynégétiques d'un autre âge", a complété Bruno David en évoquant les chasses dites traditionnelles comme la chasse à la glu.
Les scientifiques mettent en garde contre la "fausse bonne nouvelle" de l'augmentation de populations de certaines espèces plus adaptables, comme le pigeon ramier ou la mésange bleue: elle "révèle en fait une uniformisation de la faune sauvage".
"Cette biodiversité ordinaire tend à disparaître et il faut absolument faire quelque chose pour la restaurer. Si la connaissance, l'expertise, le suivi ne servent pas à protéger derrière, ça ne sert à rien!" a alerté Pierre Dubreuil, directeur général de l'OFB.