PARIS: Les forêts mélangeant plusieurs sortes d'arbres sont plus résistantes aux insectes ravageurs que celles de monoculture, selon une étude qui plaide pour un choix raisonné des espèces à faire cohabiter et des recherches sur la communication olfactive des plantes.
Le mécanisme à l'œuvre, qui est bien identifié, est « une résistance par association d'espèces différentes », explique Hervé Jactel, chercheur à l'INRAE.
Il a mené avec son collègue Bastien Castagneyrol et Xoaquin Moreira, de la Mission biologique espagnole de Galice, une méta-analyse de plus de 600 comparaisons d'attaques d'insectes entre forêts pures et mélangées, sur une période allant de 1966 à 2019.
Publiée mi-septembre dans l'Anual Review of Entomology, elle présente une synthèse des mécanismes à l'œuvre et des pistes pour lutter contre les ravageurs qui prospèrent à la faveur du changement climatique. « La hausse des températures favorise la pullulation des insectes et affaiblit les arbres, ce qui les rend plus vulnérables », explique le chercheur.
Généralistes, comme le polydrusus qui s'attaque à une large gamme de feuillus, ou spécialistes, comme la chenille processionnaire du pin, ils mâchent, perforent, creusent, pondent ou se nourrissent d'écorce, de sève ou de feuilles. « Les plus dangereux sont les spécialistes », remarque Jactel, en citant des scolytes privilégiant l'épicéa, -pour y pondre leurs œufs-, et « qui ont tué des millions d'arbres dans le nord-est » de la France depuis quelques années.
Une forêt mélangée enregistre en moyenne 20% de dégâts en moins que celle en monoculture. Les insectes spécialistes particulièrement, vont y voir les signaux olfactifs ou visuels de leur cible brouillés par ceux d'autres espèces.
Une forêt riche en essences diverses accueille aussi généralement une plus grande variété de prédateurs de ces insectes, comme les oiseaux, araignées ou fourmis.
Oiseaux à la rescousse
La recherche s'oriente depuis peu vers des mécanismes comme la communication olfactive des arbres, par le biais de composés organiques volatils (VOC), « des signaux chimiques qui franchissent la barrière des espèces », explique Jactel.
Ces VOC aident les insectes à identifier leurs cibles. Mais quand ils s'attaquent « à un arbre ou une feuille d'arbre, celui-ci réagit en diffusant ces odeurs dans l'atmosphère, ce qui informe ses congénères mais aussi les arbres d'autres espèces ».
Ces signaux d'alarme « stimulent la défense des arbres voisins et empêchent les insectes de trouver des arbres hôtes ». Mais pas seulement, remarque le chercheur en pointant du doigt un troisième élément de système « qu'on ne connaissait pas il y a dix ans ».
« Les odeurs émises par les arbres attaqués attirent les ennemis naturels des insectes ravageurs, par exemple des oiseaux », dit Jactel, ce qui plaide d'autant plus pour une diversité d'espèces susceptible d'abriter les prédateurs des insectes. « Le rôle de cette faune pour protéger les arbres est un autre axe de recherche », ajoute le chercheur.
Dans une forêt mélangée, les ravageurs spécialistes par exemple ont moins de chances de trouver l'arbre de leur choix, ce qui les expose plus longtemps à la menace d'un prédateur. Quant aux ravageurs généralistes, s'ils bénéficient d'une alimentation variée, c'est aussi au risque d'une plus grande variété de menaces.
Les scientifiques recommandent une « association d'espèces d'arbres avec des caractéristiques fonctionnelles très contrastées », par exemple des conifères avec des arbres à feuilles caduques. Mais il faut bien tenir compte des contraintes de rendement et de mécanisation de la sylviculture, remarquent-ils.
« L'important c'est la proximité des espèces, le mélange doit être relativement intime », dit Jactel, en évoquant comme « compromis des lignes alternées de plantation de deux espèces différentes ». Une solution plus simple peut être une « haie » d'arbres mélangés, ceinturant des plantations de monoculture.