PARIS: Pénétrer l'intimité de la forêt française, afin de la préparer au changement climatique et de mieux l'exploiter: un programme sur cinq ans va permettre de radiographier au laser les peuplements d'arbres de l'Hexagone et d'en offrir pour la première fois une photographie complète.
Attendu depuis plusieurs années par les gestionnaires des forêts publiques et privées, mais bloqué par manque de crédits, le programme Lidar (acronyme de Light detection and ranging) sera partiellement financé par le volet agricole du plan de relance que vient de présenter le gouvernement.
Le Lidar, sorte de sonar laser aéroporté par avion, « envoie des ondes, des impulsions, et mesure le temps entre l'émission de l'impulsion et le retour à l'avion », déterminant ainsi la topographie des sols et des arbres qui y sont plantés, explique Antoine Colin, chef du département ressources forestières et carbone à l'Institut géographique national (IGN).
Des « impacts » vont arriver « au sol », d'autres impacts vont arriver « sur les arbres, sur les branches, sur la cime » ; « ça va nous donner une information sur la hauteur des peuplements forestiers et on sait que le volume de bois d'un arbre est très corrélé à sa hauteur : plus un arbre est haut, plus il va avoir de volume de bois », ajoute Colin.
Les forestiers pourront ainsi « identifier les zones où la forêt s'accroît, les zones où il y a des coupes et d'autres où il peut y avoir des dépérissements, des mortalités à une échelle super précise », s'enthousiasme-t-il.
Des informations précieuses alors que la forêt est en péril, en première ligne face au changement climatique qui dessèche les arbres et les rend vulnérables à de nombreux ravageurs, coléoptères, champignons ou chenilles.
Mais si cette technologie, qui a par le passé levé le voile sur certains mystères de la cité cambodgienne des temples d'Angkor, permet d'évaluer un hectare en « quelques minutes », la tâche s'annonce néanmoins coûteuse et longue : la forêt française s'étend sur près de 17 millions d'hectares, soit environ un tiers du territoire métropolitain.
Prévue pour durer cinq ans, la cartographie complète nécessitera 4.000 heures de survol, selon Colin, qui évalue à « plusieurs dizaines de millions d'euros » le coût d'ensemble, dont 22 millions sont issus du plan de relance, selon l'ONF.
Un outil utilisé par les archéologues
L'office national des forêts va également mettre la main à la poche, en versant chaque année 1,4 million d'euros pour le traitement des données.
« Ca va développer considérablement nos moyens de connaissances et surtout notre capacité à choisir les endroits qu'on doit suivre particulièrement et sur lesquels on doit intervenir », a déclaré le directeur général de l'Office, Bertrand Munch.
Pour reboiser la forêt en la rendant plus résistante, de nombreuses pistes se font jour : « il faudra faire migrer des essences du sud vers le nord, mais comme il faut deux, trois générations pour avoir les résultats de ce qu'on fait, il faut commencer tout de suite », estime ainsi Antoine d'Amécourt, président du syndicat de forestiers privés Fransylva.
« S'il y a un mot clé à retenir, c'est le mot diversification. Dans la composition des forêts, en essences, mais aussi diversification dans la gestion sylvicole et l'accompagnement de ces peuplements », complète Catherine Bastien, cheffe du département forêts à l'Institut national de la recherche agronomique et environnementale (Inrae).
De nouvelles espèces qui n'avaient jusqu'à présent pas droit de cité dans les futaies françaises pourraient concourir à leur adaptation au changement climatique, comme le cèdre ou le robinier, parfois cités par les professionnels, mais « on ne jette pas les espèces qui sont là depuis la nuit des temps, parce qu'il existe une très grande diversité entre les arbres d'une même forêt », prévient Catherine Bastien.
« Vous pouvez trouver dans une même forêt des arbres sensibles ou des arbres résistants à une maladie, des arbres plus ou moins sensibles à un manque d'eau », relève-t-elle.
« La carte concourt à mieux connaître la forêt. Mieux la connaître, c'est mieux la gérer, c'est mieux anticiper les risques », conclut Colin.
Cette cartographie doit également permettre de « mieux connaître la pente », et donc de « mieux identifier les forêts exploitables », notamment pour installer des pistes d'accès aux peuplements forestiers, également un résultat « très attendu », selon lui.