PARIS : Alors que va s'ouvrir à Paris le procès des auteurs de l'attentat contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo en 2015, la menace islamiste reste protéiforme en France et en Europe, même si la capacité opérationnelle des groupes terroristes semble pour l'heure affaiblie.
Cinq ans après l'attaque contre le journal satirique, prélude à une série d'attentats dévastateurs en France, les polices et services de renseignement sont en alerte face à la capacité de réorganisation des deux réseaux jihadistes planétaires, le groupe État islamique (EI) et Al-Qaïda.
Les deux nébuleuses disposent d'un grand nombre de "franchises" locales extrêmement actives. Mais responsables et experts jugent réduit le risque d'opérations "projetées" - préparées et financées depuis l'étranger - comme les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Les services de renseignement français considèrent ainsi "limitées" les capacités de ces groupes à agir en Europe et à entretenir des liens avec leurs sympathisants.
Avant et après la fin du califat de l'EI en Irak et en Syrie (2014-2019), "les États-Unis et d'autres ont décimé son réseau des opérations extérieures, tuant ou capturant beaucoup de ses dirigeants opérationnels", explique à l'AFP Seth Jones, spécialiste du terrorisme au Centre pour les études stratégiques internationales de Washington (CSIS).
Al-Qaïda, de son côté, n'existe quasiment plus en tant que centrale mondiale, mais ses franchises territoriales sont aussi actives que celles de l'EI, du Yémen au Sahel en passant par la Syrie et la Libye.
Le Covid-19 a simultanément détourné le regard des forces de sécurité et compliqué la tâche des jihadistes, restés très actifs localement mais prudents au-delà. "La menace terroriste à court terme a augmenté dans les zones de conflit et chuté dans les zones de paix", résumait à cet égard un rapport des Nations unies mi-juillet.
Des personnalités isolées
Nul ne prétend pour autant que la menace en Europe est passée. En guise de rappel, les autorités allemandes ont déjoué en avril des projets d'attentats visant des installations militaires américaines et arrêté cinq Tadjiks soupçonnés d'agir au nom de l'EI.
Le continent surveille tout à la fois les convertis, les condamnés sortant de prison et les individus fraîchement radicalisés. S'y ajoutent les combattants restés en Syrie, les détenus des prisons kurdes et les évadés.
"La menace terroriste a été incarnée cette année par des personnalités isolées, non repérées par les services de renseignement en raison des modalités de leur action et de leurs contacts réduits, voire inexistant, avec les réseaux jihadistes identifiés", indique-t-on au parquet national antiterroriste (PNAT) à Paris.
Depuis 2015, selon un décompte officiel, la France a connu 17 attentats de faible ampleur. Dont trois en 2020, non revendiqués par les groupes eux-mêmes et venus d'individus isolés, souffrant souvent d'antécédents psychiatriques. Des actes de facto impossibles à anticiper.
Mais le PNAT a aussi observé le "démantèlement de groupes plus structurés, ainsi que des réseaux de faux documents et de financement, qui constituent toujours les préalables nécessaires à la formation de groupes opérationnels".
En mai, les autorités chypriotes avaient annoncé l'expulsion de 17 migrants soupçonnés d'avoir participé à des actes terroristes ou d'appartenir à EI ou Al-Qaïda. Un exemple qui illustre l'utilisation "des routes de migration illégales pour rejoindre l'Europe", soulignait l'ONU.
Les cibles françaises hors hexagone
Jean-Charles Brisard, directeur du Centre d'analyse du terrorisme (CAT), n'exclut pas une action projetée de l'EI, pointant "de récents projets d'attentats déjoués en Europe". Mais "le prochain cycle sera celui des +sortants+", assure-t-il. Le think-tank, basé à Paris, vient d'établir que 60% des détenus condamnés en France pour des faits en Bosnie, Irak ou Afghanistan se sont réengagés dans des actions violentes après leur détention.
Au total, le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) contient 9.000 personnes. Une masse hétéroclite qui oblige les services à établir de délicates priorités.
Reste l'hypothèse d'attaques visant la France hors hexagone. Selon une source sécuritaire très au fait du dossier, l'Afrique de l'Ouest est jugée vulnérable depuis la mort en juin au Mali du leader d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), une prise de guerre de la force antijihadiste française Barkhane.
Ambassades, entreprises et voyageurs pourraient être ciblés en représailles. "Je trouve plus probable qu'AQMI conduise une attaque revanche contre les forces françaises ou d'autres cibles françaises en Afrique - à l'Ouest ou au Nord - plutôt qu'en France elle-même", confirmait fin juillet Seth Jones. "C'est plus simple pour le groupe d'opérer en Afrique".
Depuis, six humanitaires français ont été assassinés le 9 août avec leur chauffeur et leur guide nigériens au sud-est de Niamey. L'attaque, menée par des hommes armés se déplaçant à moto, n'a toujours pas été revendiquée.