BAMAKO: Le président de transition Bah Ndaw et son Premier ministre Moctar Ouane, « cautions civiles » de l'après-coup d'Etat au Mali depuis neuf mois, ont été évincés mardi après avoir osé défier l'homme fort des putschistes, le colonel Assimi Goïta.
« Ndaw et Ouane étaient la caution civile d'une transition où, dans le fond, les militaires ont toujours tenu une place de premier plan », souligne Ornella Moderan, cheffe du programme Sahel de l'Institut d'études de sécurité (ISS), basée à Bamako, alors que le Mali plonge à nouveau dans une période à haut risque.
« Ils ont peut-être essayé de prendre un peu trop d'indépendance par rapport à la mainmise militaire, discrète vue de l'extérieur, mais très clairement présente », ajoute-t-elle.
Le duo avait été placé à la tête du Mali un bon mois après le renversement le 18 août 2020 du président élu Ibrahim Boubacar Keïta par un petit groupe de colonels à la tête duquel se trouvait le colonel Goïta, devenu vice-président de la transition.
Sur le papier, leur nomination répondait à l'une des exigences de la communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), médiatrice dans la crise malienne : que la transition soit menée par des civils, et qu'elle ne dure pas plus de 18 mois.
Bah Ndaw, 70 ans, a bien fait toute sa carrière dans l'Armée de l'air et occupé le poste de ministre de la Défense. Mais il avait fait valoir ses droits à la retraite en 2012.
Moctar Ouane, 65 ans, est pour sa part un diplomate expérimenté qui a représenté le Mali auprès des Nations unies avant d'être ministre des Affaires étrangères.
« Sabotage »
Le pouvoir des deux plus hauts dirigeants civils du pays, déjà considéré comme fragile face aux militaires, a volé en éclats après l'annonce d'un remaniement ministériel qui a déplu aux anciens putschistes.
Bah Ndaw et Moctar Ouane ont été conduits lundi sous la contrainte à Kati, ville garnison proche de la capitale d'où était parti le coup d'Etat l'an dernier et où ils étaient toujours détenus mardi.
Le colonel Goïta a indiqué dans un communiqué lu à la télévision nationale les avoir privés de leurs « prérogatives », leur reprochant un « sabotage » de la transition.
Leurs torts, selon le vice-président : avoir été incapables d'apaiser un climat social et politique de plus en plus délétère.
Et, surtout, d'avoir annoncé la composition d'un nouveau cabinet en se passant de son aval, privant au passage deux figures de la junte des postes clés de la Défense et de la Sécurité.
« Pas laissé faire »
Pour Bréma Ely Dicko, sociologue et anthropologue à l'Université de Bamako et conseiller de Moctar Ouane, le Premier ministre avait pourtant eu raison de chercher ces dernières semaines à créer les « conditions d'une ouverture » du pouvoir à des représentants de l'opposition.
« Il a fait ce que le contexte lui permettait de faire », a-t-il ajouté. Son travail « allait être couronné par la mise en place d'un gouvernement inclusif. Malheureusement les militaires ne l'ont pas laissé faire », a ajouté le sociologue.
De son côté, Bah Ndaw « résiste à sa manière », estime Bréma Ely Dicko. Il rappelle que la charte de la transition, sorte d'acte fondamental faisant référence pour les militaires dans la transition et retouchée sous la pression de la Cédéao, dispose que le président ne peut être remplacé par son vice-président.
Assimi Goïta et ses fidèles vont devoir « composer avec lui » car, « s'il démissionne, cela met les militaires dans une situation très inconfortable ». « Les militaires n'ont pas de vrai moyen de pression sur lui. Il n'a pas d'intérêt au pouvoir, il n'a pas d'intérêt particulier », ajoute le sociologue.