BAMAKO: L'homme fort du pouvoir malien, le colonel Assimi Goïta, a indiqué mardi avoir déchargé le président et le Premier ministre de transition de leurs prérogatives, dans ce qui s'apparente à un deuxième putsch en neuf mois, suscitant une vaste réprobation internationale et la menace de premières sanctions.
L'arrestation des deux dirigeants et de plusieurs hauts personnages de l'Etat dans ce pays crucial pour la stabilité du Sahel en proie à la propagation jihadiste a provoqué depuis lundi une multitude de condamnations à l'égard des militaires.
Le président français Emmanuel Macron, dont le pays engage plus de 5 000 soldats contre les jihadistes au Sahel, a parlé de « coup d'État dans le coup d'Etat inacceptable ». Assimi Goïta et d'autres colonels maliens avaient déjà renversé le président élu Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020 avant d'installer des autorités de transition demeurées sous leur contrôle.
Les dirigeants de l'Union européenne sont « prêts, dans les prochaines heures, si la situation n'était pas clarifiée, à prendre des sanctions ciblées » contre les protagonistes, a affirmé M. Macron lors d'une conférence de presse à l'issue d'un sommet européen.
La France a demandé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU.
Les appels à la libération immédiate et inconditionnelle des personnes arrêtées et à un retour à la transition politique devant ramener les civils au pouvoir se sont succédé de la part de la mission de l'Onu au Mali (Minusma), de la Communauté des Etats ouest-africains (Cédéao), de l'Union africaine (UA), des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou encore de l'Allemagne.
Le médiateur de la Cédéao, Goodluck Jonathan , est arrivé mardi après-midi à Bamako à un nouveau moment critique.
Quelques heures auparavant, le colonel Assimi Goïta a rompu son silence dans une déclaration de reprise en main lue par un collaborateur en uniforme sur la télévision nationale, elle-même sortie de la grève pour la circonstance.
Le colonel Goïta reproche au président Bah Ndaw et au Premier ministre Moctar Ouane d'avoir formé un nouveau gouvernement sans le consulter, bien qu'il soit vice-président en charge de la défense et de la sécurité, domaine cruciaux dans le pays en pleine tourmente.
Une telle démarche témoigne de leur part « d'une intention avérée de sabotage de la transition », dit-il. Il dit s'être vu « dans l'obligation d'agir » et de « placer hors de leurs prérogatives le président et le Premier ministre ainsi que toutes les personnes impliquées dans la situation ».
L'ambiguïté de la formulation suscite des interrogations sur l'éventualité que le vice-président aurait démis de leurs fonctions le président et le Premier ministre faute d'avoir obtenu leur démission sous la contrainte.
Le Mali depuis le coup d'Etat d'août 2020
Rappel des événements au Mali, du putsch qui a renversé en août 2020 le président Ibrahim Boubacar Keïta.
Coup d'Etat
Le 18 août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta est renversé par un putsch après plusieurs mois de manifestations antigouvernementales, l'accusant de corruption et d'impuissance face à l'insécurité.
Le 19, le colonel Assimi Goïta se présente comme le nouvel homme fort du pays.
La communauté internationale condamne le coup d'Etat et réclame le retour à l'ordre constitutionnel.
La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) prend des sanctions contre le Mali.
Président de transition
Le 12 septembre, la junte, sous pression internationale, s'engage à une transition vers un pouvoir civil dans un délai de 18 mois.
Le 21, l'ex-ministre de la Défense Bah Ndaw est désigné président de transition et le colonel Goïta vice-président de transition.
Le 27, l'ancien ministre des Affaires étrangères Moctar Ouane est désigné pour former un gouvernement, constitué le 5 octobre, avec des militaires aux postes clés.
Elections fixées
Le 15 avril 2021, les autorités de transition fixent des dates en février et mars 2022 pour les élections présidentielle et législatives, devant aboutir au transfert du pouvoir à des dirigeants civils.
Démission du gouvernement
Le 14 mai, le Premier ministre Moctar Ouane présente la démission de son gouvernement, confronté à une contestation grandissante. Immédiatement reconduit, il est chargé de former un nouveau cabinet de « large ouverture ».
Nouveau gouvernement
Le 24 mai, la présidence annonce la formation d'un nouveau gouvernement intérimaire. Les militaires y conservent des postes clés, mais deux figures de l'ancienne junte sont écartées des portefeuilles primordiaux de la Défense et de la Sécurité.
Le président et le Premier ministre arrêtés
Le même jour, les militaires, mécontents de la composition de ce gouvernement, arrêtent le président et le Premier ministre, conduits sous la contrainte au camp militaire de Kati, à quelques kilomètres de Bamako.
Dans un communiqué commun, la mission de l'ONU au Mali, la Communauté des Etats ouest-africains (Cédéao), l'Union africaine, la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Union européenne condamnent « la tentative de coup de force » et exigent la « libération immédiate » de MM. Ndaw et Ouane.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, appelle « au calme » et à la « libération inconditionnelle » des dirigeants civils.
« Coup d'Etat dans le coup d'Etat »
Le 25, le colonel Assimi Goïta dit avoir déchargé le président et le Premier ministre de leurs prérogatives, accusant les deux hommes de tentative de « sabotage » de la transition. Il assure que cette transition « suivra son cours normal et que les élections prévues se tiendront courant 2022 ».
« Ce qui a été conduit par les militaires putschistes est un coup d'État dans le coup d'Etat inacceptable, qui appelle notre condamnation immédiate », dénonce le président français Emmanuel Macron à l'issue d'un sommet européen.
Alors que Londres et Berlin réitèrent leur appel à la libération immédiate des deux dirigeants maliens, Paris demande une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU.
Elections « courant 2022 »
Les évènements soulèvent aussi des questions sur le respect du calendrier de retour au pouvoir des civils.
Les autorités de transition avaient annoncé l'organisation en février-mars 2022 d'élections présidentielle et législatives. Le colonel Goïta, plus vague, dit que la transition suivra « son cours normal et que les élections prévues se tiendront courant 2022 ».
Le colonel Goïta avait conduit en 2020 le putsch contre le président Keïta après des mois de contestation populaire. La junte avait ensuite installé des autorités de transition, dont Bah Ndaw, militaire à la retraite, et Moctar Ouane, diplomate.
Les militaires s'étaient engagés, sous pression internationale, à rendre le pouvoir à des civils élus au bout de 18 mois. Ils conservaient cependant la main sur les leviers du pouvoir.
Lundi, les militaires ont fait arrêter le président, le Premier ministre, le nouveau ministre de la Défense et de hauts collaborateurs, quelques heures à peine après la présentation d'un nouveau gouvernement à la suite de la démission du précédent, confronté à une contestation grandissante.
Ils les ont fait conduire de force au camp de Kati, haut lieu de l'appareil de Défense à quelques kilomètres de Bamako, où l'ancien président Keïta avait dû annoncer sa démission.
Ils sont « sains et saufs. Ils ont passé la nuit dans de bonnes conditions. Le président a vu son médecin », a indiqué un haut responsable militaire s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.
« Conséquence logique »
Les colonels ont mal pris que deux des leurs aient été écartés des portefeuilles stratégiques de la Défense et de la Sécurité dans le nouveau gouvernement, qui maintenait pourtant la prépondérance des militaires, disent les analystes.
Bien que prévisible, cet énième soubresaut a plongé les Maliens dans la consternation d'un inquiétant déjà-vu.
Malgré la prolifération du hashtag #wuli (« debout » en bambara) sur les réseaux sociaux, des appels à se rassembler à Bamako pour protester n'ont guère trouvé d'écho.
Les militaires, accueillis initialement avec un a priori favorable par une population exaspérée par l'insécurité, la corruption et la pauvreté, s'exposent néanmoins au reproche d'avoir pris goût au pouvoir.
Le sociologue Bréma Ely Dicko voyait dans les évènements récents le prolongement prévisible du putsch de 2020. « Ce qu’on est en train de vivre aujourd'hui est une conséquence logique des tares du début de la transition », quand les colonels ont tenu à l'écart les partis et les organisations de la société civile qui avaient mené pendant des mois la contestation contre l'ancien pouvoir.
Cinq choses à savoir sur le Mali
Extrême pauvreté
Le Mali, largement désertique, enclavé et frontalier de sept pays, est traversé par le fleuve Niger. Sa population de plus de 19 millions d'habitants est composée d'une vingtaine d'ethnies, dont certaines s'affrontent dans des conflits intercommunautaires.
Cette ancienne colonie française est un des pays les plus pauvres au monde, classé 184e sur 189 par le Pnud pour son indice de développement humain.
L'année dernière, sous le double effet du coup d'Etat d'août et de la pandémie de coronavirus, le PIB du Mali s'est contracté de 2%, après une hausse de 5,1% en 2019, selon la Banque africaine de développement (BAD).
Sa forte croissance démographique et le changement climatique menacent l'agriculture et la sécurité alimentaire, souligne la Banque mondiale.
La chute de la production de coton et la faible performance de la filière agricole constituent des facteurs d'aggravation de la pauvreté, selon l'institution.
Instabilité politique
Indépendant depuis 1960, le Mali est dirigé par Modibo Keïta jusqu'en 1968, année du coup d'Etat militaire de Moussa Traoré, renversé à son tour en 1991.
En 1992, Alpha Oumar Konaré est le premier président démocratiquement élu.
Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », élu en 2013 puis réélu en 2018, est renversé par un putsch militaire le 18 août 2020.
Sous pression internationale, les militaires ont accepté de nommer un président de transition et de rendre le pouvoir aux civils dans un délai de 18 mois. Mais dimanche, ils ont arrêté le président et le Premier ministre après la nomination d'un nouveau gouvernement de transition qui les a mécontentés.
Rébellions touareg et offensive djihadiste
Depuis l'indépendance, le Mali a connu plusieurs rébellions des Touareg, peuple nomade du Sahara d'origine berbère entré en révolte contre la domination des populations sédentaires noires du Sud.
La rébellion de 1990-1994 fait plus d'un millier de morts. En 2006, plusieurs centaines d'ex-rebelles retournent dans le maquis. De nombreuses attaques, offensives et prises d'otages ont lieu jusqu'en 2009, entrecoupées d'accords de paix.
En 2012, le nord du Mali tombe sous la coupe de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda qui commettent de nombreuses exactions.
Opérations militaires étrangères
Les djihadistes ont été partiellement chassés par l'opération « Serval » lancée par la France en 2013 et remplacée en 2014 par l'opération antidjihadiste au Sahel « Barkhane ».
La Minusma, engagée aussi depuis 2013, est une des plus importantes missions de l'ONU.
Egalement présente depuis fin 2017, la force antidjihadiste du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad), est soutenue par la France. Paris pilote également depuis mars 2020 la force européenne Takuba.
L'armée française et celles des pays du G5 Sahel ont multiplié les offensives antidjihadistes, notamment dans la zone dite des « trois frontières » entre Mali, Niger et Burkina Faso.
Mais en dépit des interventions étrangères, les violences djihadistes se poursuivent et se sont étendues au centre du Mali et aux pays voisins, Burkina Faso et Niger.
Le centre du Mali est pris dans un tourbillon de violences depuis l'apparition en 2015 d'un groupe djihadiste mené par le prédicateur peul Amadou Koufa, affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a largement recruté dans cette communauté.
Les violences ont provoqué des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés.
Rayonnement culturel
La cité de Tombouctou (nord-ouest), célèbre pour ses dizaines de milliers de manuscrits, a été un grand centre intellectuel de l'islam.
Les mausolées de saints musulmans de Tombouctou, considérés par la population comme des protecteurs, ont été partiellement détruits par les djihadistes, puis reconstruits grâce à l'Unesco, et classés au patrimoine mondial de l'humanité.
De nombreuses légendes de la musique africaine proviennent du Mali, comme Salif Keïta, Rokia Traoré, le duo Amadou et Mariam ou Ali Farka Touré, ainsi que des photographes mondialement connus comme Seydou Keïta ou Malick Sidibé.