PARIS: Des syndicats unanimes, des milliers de policiers mais aussi le ministre de l'Intérieur et des politiques de tous bords sont attendus mercredi devant l'Assemblée nationale, deux semaines après le meurtre du brigadier Eric Masson et à l'approche d'importantes échéances électorales.
Les syndicats, réunis - fait assez rare-, en intersyndicale, espèrent une mobilisation exceptionnelle de 30 000 personnes et "sans récupération politique".
"Chacun est libre d'y participer", mais "aucun responsable politique ne pourra accéder à la tribune ni s'y exprimer", ont-ils fait savoir dans un communiqué commun.
Car depuis qu'ils ont appelé "la population" à venir témoigner de son "soutien à sa police républicaine", des élus de tous bords ont annoncé leur présence, alors que la sécurité s'impose comme l'un des principaux thèmes de campagne des régionales dans un mois, et de la présidentielle dans un an.
Les grandes mobilisations de policiers depuis 20 ans
Les grandes mobilisations de policiers depuis 20 ans, avant celle organisée ce mercredi pour demander plus de sévérité pour les "agresseurs des forces de l'ordre".
2020: «jetés en pature»
En juin, de multiples rassemblements de policiers s'estimant "jetés en pature" sont organisés en France, suite au projet d'abandon de la clé d'"étranglement" annoncé par le gouvernement après des manifestations contre les violences policières. Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, avait également demandé la suspension de policiers en cas de "soupçons avérés" de racisme, avant de reconnaître une "maladresse". La technique d'interpellation controversée restera finalement utilisée.
En décembre, plusieurs centaines de policiers se rassemblent à Paris, Nantes ou Bordeaux, se disant "dénigrés" après des propos d'Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat avait jugé "insoutenable" que les contrôles ciblent davantage les jeunes dont la peau "n'est pas blanche" et reconnu qu'il existait "des violences par des policiers".
2019: «marche de la colère»
Le 2 octobre, quelque 27 000 policiers, selon les organisateurs, défilent à Paris pour une "marche de la colère".
Au coeur de la protestation, une usure opérationnelle liée au mouvement social des "gilets jaunes", où la police a été accusée de violences, et un bond des suicides au sein de la police nationale.
Les syndicats policiers craignent aussi les conséquences du projet de réforme des retraites. Le 12 décembre, ils suspendent leur mouvement après avoir obtenu des "avancées" pour le maintien de leur régime dérogatoire.
2016: prime et «haine anti-flics»
En avril, plusieurs milliers de policiers manifestent à Paris pour réclamer l'augmentation d'une "prime de risque" à la suite des attentats et de l'instauration de l'état d'urgence.
En mai, des centaines de policiers manifestent pour dénoncer la "haine anti-flics" lors des manifestations contre la réforme du droit du travail. En marge d'une marche contre les violences à l'encontre des forces de l'ordre à Paris, deux policiers sont attaqués et leur voiture incendiée.
En octobre, une attaque aux cocktails Molotov contre quatre agents à Viry-Châtillon (Essonne) déclenche une série de manifestations, auxquelles participent des centaines de policiers. En réponse, le gouvernement fait voter une loi assouplissant les règles de légitime défense.
En avril 2021, l'acquittement en appel de huit des accusés dans cette affaire et la condamnation des cinq autres à des peines moins sévères qu'en première instance provoqueront de nouvelles manifestations de policiers.
2015: policier blessé
Des milliers de policiers manifestent en France le 14 octobre, après qu'un de leur collègue a été grièvement blessé en Seine-Saint-Denis par un braqueur en cavale depuis une permission de sortie.
2014: «paupérisation»
Plusieurs milliers de policiers défilent à Paris le 13 novembre pour dénoncer "une paupérisation constante des services" et "le mal-être" dans la police.
2012: mise en examen
De nombreuses manifestations de centaines de policiers se succèdent durant plusieurs semaines pour protester contre la mise en examen d'un de leurs collègues pour homicide volontaire. Celui-ci avait abattu un multirécidiviste en cavale en Seine-Saint-Denis le 25 avril.
2009: «politique du chiffre»
Dans toute la France, plusieurs milliers de policiers dénoncent le 3 décembre une "politique du chiffre, quotas de contraventions et effectifs en baisse".
2007: changement de statut
Le 8 décembre, plusieurs milliers d'officiers de police manifestent à Paris contre un changement de leur statut.
2001: meurtre de policiers
Le tiers des 114 000 policiers de France, de tous grades, manifeste durant deux semaines, après le meurtre de deux policiers le 16 octobre, au Plessis-Trévise (Val-de-Marne), par un braqueur récidiviste libéré alors qu'il était en détention provisoire, et après les blessures reçues par deux autres dans une fusillade à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) le 7 novembre.
Même Gérald Darmanin s'y rendra, une "première" de mémoire de policiers pour un ministre de l'Intérieur, ce qui lui a valu de vives critiques de l'opposition.
"Je vais leur dire que nous les aimons", a-t-il justifié sur France Inter. "Il n'y a pas de soumission à un pouvoir quelconque", a-t-il affirmé, en référence à la police.
L'eurodéputé conservateur François-Xavier Bellamy a raillé un ministre qui manifeste "contre sa propre inaction". "Son rôle est d'agir, pas de manifester", a aussi estimé Damien Abad, le patron des députés LR, dont "la quasi-totalité" sera présent.
Le numéro deux du Rassemblement national Jordan Bardella a également annoncé sa venue, avec "beaucoup d'élus" du parti.
A gauche, les chefs du Parti socialiste, Olivier Faure, et du Parti communiste, Fabien Roussel, seront présents, tout comme l'écologiste Yannick Jadot. Seule exception, La France insoumise, qui voit dans les demandes des syndicats policiers un "cahier de revendications corporatives".
L'acteur Gérard Lanvin doit prendre la parole au début du rassemblement à 13H00, avant des témoignages de policiers de terrain et des prises de parole syndicales, ont précisé les organisateurs.
«Ecoeurés» et «en colère»
Les syndicats ont décidé d'organiser ce rassemblement deux semaines jour pour jour après le meurtre d'Eric Masson, tué sur un point de deal à Avignon. Un drame qui a ébranlé la police, déjà marquée par l'assassinat le 23 avril de Stéphanie Monfermé, agente administrative au commissariat de Rambouillet (Yvelines), par un Tunisien qui se serait radicalisé.
Selon les responsables syndicaux, beaucoup de policiers "en colère" et "écœurés" voient dans la mort du brigadier lors de cette banale intervention un symbole des violences répétées à leur encontre, qui nécessitent une "réponse pénale" plus ferme.
Depuis Avignon, le gouvernement a déjà donné des gages aux syndicats, reçus le 10 mai à Matignon. Le Premier ministre Jean Castex s'est notamment engagé à étendre à trente ans la période de sûreté pour les personnes condamnées à perpétuité pour un crime contre un policier ou un gendarme. Et à limiter strictement les possibilités de réduction des peines pour ceux qui s'attaquent aux forces de l'ordre.
Mais les syndicats déplorent que leur "revendication la plus importante", "la mise en œuvre de peines minimales" (aussi appelées peines planchers) pour "les agresseurs des forces de l'ordre", n'ait pas été "prise en compte".
Il faut "changer de logiciel", assure Grégory Joron d'Unité SGP Police-FO, dénonçant une "individualisation exacerbée des peines" et un "empilage de dispositifs qui vident les peines de leur sens".
Le rassemblement devant l'Assemblée nationale est aussi une manière de rappeler aux élus qu'ils "doivent prendre leurs responsabilités et au besoin légiférer pour faire en sorte que tout ce qu'on vient de vivre ne se reproduise plus", détaille Fabien Vanhemelryck, Secrétaire général d'Alliance.
"Le nœud gordien c'est l'application des peines existantes, notamment pour tout ce qui est en bas du spectre, c'est-à-dire les agressions du quotidien", "là où le sentiment d'impunité se crée et se nourrit", estime aussi Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie Officiers.
Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), rappelait toutefois dimanche auprès de l'AFP que les peines planchers, mises en place sous Nicolas Sarkozy et abrogées en 2014, avaient été "relativement peu mises en œuvre", les juges pouvant y déroger.