PARIS: L'ancien président français Nicolas Sarkozy a de nouveau rendez-vous avec les juges à partir de jeudi à Paris pour les dépenses excessives de sa campagne présidentielle de 2012, dans l'affaire dite "Bygmalion".
Le procès, qui doit durer jusqu'au 22 juin, aurait dû commencer le 17 mars mais avait été ajournée en raison de l'hospitalisation d'un des 14 prévenus.
L'ancien président, qui sera interrogé la semaine du 14 juin, est soupçonné d'avoir laissé filer ses comptes de campagne au-delà de leur plafond légal malgré les avertissements des experts-comptables. Poursuivi pour "financement illégal de campagne électorale", il encourt un an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende.
Selon l'accusation, l'ancien président "a incontestablement bénéficié" d'un système de fausses factures qui lui a permis de disposer pour la campagne de moyens "bien supérieurs à ce que la loi autorisait".
L'enquête n'a toutefois pas établi que le chef de l'Etat avait décidé de la mise en place du système, ni qu'il y avait participé ou même en avait été informé.
Il est reproché au candidat Sarkozy de ne pas avoir tenu compte de deux alertes des experts-comptables pendant sa campagne, en mars et avril 2012.
Les règles financières de la campagne présidentielle
Le plafond des dépenses autorisées est de 22,509 millions d'euros pour chacun des deux candidats en lice au second tour et de 16,851 millions pour chacun des autres prétendants.
Les dons et aides matérielles des personnes morales, notamment des entreprises, sont strictement interdits. Ceux des particuliers sont autorisés mais dans une stricte limite: un citoyen peut donner 4 600 euros maximum, quel que soit le nombre de candidats qu'il soutient.
En plus de ces dons, le candidat peut recourir à des fonds personnels, des aides de partis ou à des emprunts bancaires.
Les dépenses sont remboursées par l'Etat à hauteur de 47,5% du plafond pour les candidats ayant obtenu plus de 5% des voix, et de 4,75% pour les autres.
Chacun d'entre eux reçoit une avance forfaitaire à partir du moment où il a réuni les 500 parrainages requis. Tout juste adopté au Parlement, un toilettage de la loi fait passer cette avance à 200 000 euros pour 2022, contre 153 000 auparavant. Les comptes de la campagne présidentielle à venir seront aussi publiés en "open data" (libre accès en ligne), comme c'est la règle pour les autres élections.
L'Etat prend en outre en charge les frais de la campagne officielle à la télévision et à la radio, les frais d'impression et de distribution des professions de foi, les frais d'impression et d'apposition des affiches sur les panneaux officiels.
Chaque candidat doit nommer un mandataire financier, personne physique ou association, qui est "l'intermédiaire obligatoire entre le candidat" et ceux qui le financent.
Le compte de campagne recense toutes les recettes et les dépenses, présentées ensuite à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCNCFP), composée de neuf hauts magistrats nommés pour cinq ans renouvelables par décret du Premier ministre.
Cette commission approuve ou rejette les comptes, avec des conséquences financières lourdes: un rejet prive le candidat du remboursement public. S'il est prononcé pour dépassement du plafond, il entraîne une amende équivalente à ce dépassement.
Seul un des juges d'instruction, Serge Tournaire, a signé l'ordonnance de renvoi devant le tribunal. L'autre juge en charge du dossier, Renaud Van Ruymbeke, a estimé que les charges contre l'ancien président étaient insuffisantes et s'est désolidarisé de son collègue.
Les 13 autres prévenus sont d'anciens cadres de l'ancien parti de droite Union pour un mouvement populaire (UMP, devenue Les Républicains, partie civile au procès), des responsables de la campagne de 2012 et des dirigeants de Bygmalion, une société d'événementiel chargée d'organiser les meetings du candidat Sarkozy via sa filiale Event & Cie.
Ils comparaissent pour faux et usage de faux, abus de confiance, escroquerie et financement illégal de campagne électorale, et complicité ou recel de ces délits.
Des questions en suspens
L'affaire a éclaté en mai 2014 avec le témoignage télévisé de l'avocat Jérôme Lavrilleux, ancien directeur adjoint de la campagne Sarkozy en 2012. En larmes, il révèle avoir participé à un système de double comptabilité et de fausses factures mis en place pour dissimuler les dépassements du plafond autorisé des comptes de campagne du candidat.
Selon l'accusation, les dépenses de la campagne du candidat Sarkozy se sont élevées à "au moins 42,8 millions d'euros", bien au-delà du plafond légal autorisé (22,5 millions d'euros pour le deuxième tour).
Qui a orchestré le surfinancement frauduleux, qui en a bénéficié, qui savait?
L'ancien patron de l'UMP Jean-François Copé a bénéficié d'un non-lieu. Il sera entendu comme témoin pendant le procès et "répondra à l'ensemble des questions", a-t-il fait savoir par la voix de son avocat Hervé Temime.
Les proches de M. Copé n'ont toujours pas digéré un long article du magazine Le Point, publié en février 2014, qui accusait l'ex-secrétaire général de l'UMP d'"avoir organisé un détournement de fonds à son profit" au détriment du parti, grâce à la "puissante machine de guerre" qu'était Bygmalion. M. Copé a obtenu la condamnation du magazine pour cet article et ses partisans voient toujours la main des sarkozystes dans les "révélations" du journal.
"Objectivement, personne n'a détourné d'argent ou ne s'est enrichi dans cette affaire", a confié lundi M. Lavrilleux dans un entretien au quotidien Le Courrier Picard. Aujourd'hui retiré de la vie politique, il est le seul prévenu à assumer ses responsabilités.