BEYROUTH: Famille, amis et collègues ont fait leurs adieux en larmes le 15 août à Ralph Mallahi, le sixième pompier identifié parmi les dix qui ont péri dans l'explosion du 4 août, qui a ravagé Beyrouth et conduit à la démission du gouvernement libanais.
Sa dépouille, placée dans un cercueil blanc a été portée par ses collègues - pompiers, officiers et sauveteurs - tous habillés de blanc, tandis que sa famille endeuillée et ses proches marchaient derrière le cercueil.
Une marche nuptiale a accompagné en fond sonore le cortège funèbre, qui est passé devant la Brigade des Pompiers de Beyrouth à La Quarantaine – son lieu de travail - avant de traverser les quartiers d'Ain Al-Remmaneh et Furn el-Chebbak où le soldat du feu a grandi. Sur le passage du cortège, les habitants lançaient du riz et des fleurs, rendant la scène encore plus poignante.
Jeune homme fringant de 24 ans, grand et aux yeux bleus, Ralph faisait partie d'un groupe de pompiers qui sont morts alors qu’ils tentaient de maîtriser le feu dans le hangar 12 du port de Beyrouth. Ils ont été soufflés par les deux explosions qui ont réduit à néant le port et les quartiers voisins.
Ni les pompiers ni les sauveteurs ne savaient que l'entrepôt contenait 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium, entreposées à côté de feux d'artifice. L'explosion a coûté la vie à 180 civils, et 30 personnes sont toujours portées disparues. Plus de 6.000 personnes ont été blessées, et des milliers d'autres ont été déplacées. La tragédie a également causé d’immenses dégâts matériels.
Le corps du sergent-chef Charbel Karam a été retrouvé samedi, quelques jours après la découverte de la dépouille de Ralph Mallahi, du sergent-chef Rami Kaaki, du sergent Elie Khouzami, du pompier Joe Noon et de Sahar Fares, membre de l’équipe des sauveteurs. D'autres corps doivent encore être identifiés.
Les dépouilles des pompiers Charbel Hitti, 22 ans, de son cousin Najib Hitti, de Michel Hawwa et de Joe Bou Saab ont également été retrouvées.
Lundi, les funérailles de Charbel Karam et de deux autres pompiers se sont déroulées dans leur ville, où beaucoup ne pouvaient pas contenir leur émotion.
« Les sauveteurs nous ont dit qu’ils avaient retiré les dépouilles et avaient effectué un test ADN », a précisé Georges, le père de Charbel, à Arab News. Le permis de conduire de Najib a quant à lui été retrouvé à côté de dépouilles, indiquant ainsi qu’il conduisait le camion de pompiers.
Georges, extérieurement résistant, a décrit l’impact de la tragédie sur sa famille. « Mon fils n’est pas le seul à avoir été tué dans ce crime commis contre les Libanais. Najib, âgé de 25 ans, travaillait également avec lui ».
Les deux hommes avaient rejoint la brigade des pompiers il y a trois ans, après avoir servi dans la brigade de la Défense civile à Qartaba. « Mon cousin Charbel Karam, qui est aussi mon beau-frère, a également été tué avec eux », a ajouté Georges.
Alors que les villageois portaient à bout de bras les photos de leurs trois fils perdus avec le mot « héros » inscrit dessus, la mère d’un des jeunes hommes était sans voix: « Je ne sais pas qui pleurer, mon fils, Charbel Hitti, mon frère Charbel Karam ou le fils de mon beau-frère Najib. »
Georges a expliqué que les trois jeunes hommes rendaient service aux gens, et venaient en aide aux démunis. Ils travaillaient à Beyrouth et rentraient chez eux à Qartaba, à 55 km de la capitale, ajoutant : « Dieu merci, ils n'ont jamais été affiliés à aucun parti (politique). »
Le jour de l'explosion, Georges était à Beyrouth et voulait leur rendre visite sur leur lieu de travail pour la première fois. « Je suis allé au siège central où ils dormaient, après un long travail d’équipe de nuit. J'ai réveillé mon fils Charbel et son cousin Najib et je leur ai dit que je les verrais à Qartaba après leur travail. Rentre dormir », m’a-t-il dit.
Georges est resté un peu plus longtemps à Beyrouth, puis il est rentré chez lui. « Il ne m'est pas venu à l'esprit que ce serait la dernière fois que je les verrais - une visite d'adieu ». Charbel Karam, 37 ans, laisse une femme et deux toutes petites filles.
Le maire de Beyrouth, Marwan Abboud, a été le premier à déplorer la mort des dix pompiers, à la télévision, alors qu'il se dirigeait vers le port. « Nous avons perdu dix jeunes », avait-il déclaré.
C’est d’abord le corps de la jeune femme de l’équipe, Sahar Fares, qui a été retrouvé en premier sur le lieu de l’explosion. La jeune femme a été identifiée grâce à ses ongles et à son pantalon.
Sahar Fares avait même pris une photo du groupe qui souriait, avant de l’envoyer à l'homme qu'elle devait épouser en juin 2021. Son corps a été retrouvé sous les décombres le lendemain de l’explosion, alors que la photo du groupe faisait le tour des réseaux sociaux.
Sa famille est toujours sous le choc, et sa mère n'arrive pas à croire que sa fille qui s'apprêtait à vêtir une robe de mariée est morte. Ses collègues l'ont décrite comme « passionnée par son travail ». Elle était selon eux « la première à se précipiter chaque fois que sonnait l'alarme, et l’une des plus dynamiques de l’équipe des sauveteurs. »
Ce mardi 4 août, l’équipe de pompiers était partie du siège central de la Brigade des pompiers en direction du quartier de la Quarantaine, vers le port, à bord d'un camion de pompiers et d'une ambulance.
La Brigade des pompiers, à laquelle appartenaient les victimes, a comme devise « Chevalerie - Sacrifice – Loyauté ».
Elle comprend un groupe technique organisé et formé militairement, composé de techniciens spécialisés dans la lutte contre les incendies, dans le sauvetage et les secours, en plus de personnel militaire chargé de superviser le respect de l'ordre et du commandement.
Des collègues qui étaient avec les victimes lorsque l'alarme a été donnée l'après-midi du 4 août, ont précisé que Ralph Mallahi avait été le premier à monter dans le camion de pompiers qui se rendait au hangar en feu.
L'équipe s'est dirigée vers le port pour aider les pompiers qui y étaient déjà stationnés. « Il y a des photos prises par l'équipe quand nos pompiers essayaient d'ouvrir l'entrepôt, accompagnés d'un civil », a déclaré le lieutenant Ali Najm, responsable des relations publiques de la Brigade des pompiers de Beyrouth.
« Il s'est avéré qu'ils avaient besoin d'aide, et nous avons donné l'alarme une fois de plus. C’est à ce moment que tous les pompiers se sont dirigés vers les lieux du drame lorsqu'une énorme explosion s'est produite, les murs du siège central se sont effondrés et de gros dégâts y ont été causé », a-t-il ajouté. « Si nos pompiers avaient été au siège central au moment de l’explosion, nous aurions subi des pertes humaines encore plus importantes. »
La mère de Rami Kaaki a dit que son fils faisait son devoir, même s’il n’était pas de service ce jour-là. « J'essaie de me calmer en me disant que Dieu me l'a donné et que Dieu l'a repris, mais je n’arrive pas à supporter ce malheur », a-t-elle déclaré, chez elle à Burj Abi Haidar, à Beyrouth. « Ma belle-fille est enceinte, et a déjà une fille de quatre ans. Comment peut-on accepter ça ? »
La mère endeuillée a ajouté : « Tous les responsables devraient être pendus… surtout celui qui dit que son parti n'a pas accès au port ou à l'aéroport. Si vous savez ce qui est entreposé à Haïfa, comment ne savez-vous pas ce qui est stocké dans le port de Beyrouth ou dans le reste du pays ? »
« Rami travaillait au sein de la Brigade des pompiers depuis douze ans, a précisé son frère Khairuddin. C’est lui qui a appelé le siège central pour demander de l’aide, et si d’autres pompiers ne s’étaient pas dirigés vers les camions de pompiers pour se rendre au port, ils auraient certainement été touchés. Rami a sauvé ses collègues. »
Joe Noon, 27 ans, venait du village de Mishmish dans la région de Jbeil. Après l'explosion, son frère William, volontaire de la brigade de Défense Civile, s’est rendu tous les jours au port pour obtenir des informations.
Le corps de Joe, fort et robuste, connu pour avoir traîné à lui seul un camion, a été retrouvé sous les décombres. La dernière photo prise de lui le montrait en train d'essayer d'ouvrir la porte de l'entrepôt.
Les pompiers qui ont survécu à l'explosion ont blâmé les responsables du port. « Ils ont signalé un incendie mais n'ont pas dit ce qui était stocké dans l'entrepôt, a déclaré l'un d'eux. Ils ont conduit nos collègues à une mort certaine. S'ils avaient su ce qu'il y avait dans le hangar 12, ils n’y seraient jamais entrés, et ne seraient pas devenus des cadavres mutilés. »
Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com