VEJLE: « J'ai peur de rentrer en Syrie, de ce régime qui a tué mon mari et son frère »: malgré des critiques internationales, des centaines de Syriens comme Sabriya al-Fayyad se voient privés de leur permis de séjour au Danemark, qui juge la situation à Damas et sa région désormais « sûre ».
Fin mars, cette mère de famille originaire de la capitale syrienne a été priée de quitter le Danemark avec ses deux filles mineures. Risquant d'être embrigadés de force dans l'armée, ses deux fils, eux, peuvent rester.
« J'ai peur d'être arrêtée, qu'ils me demandent : où sont vos fils ? Ils doivent faire leur service militaire ! » , dit la quadragénaire, le regard las, dans son appartement propret de Vejle, dans l'ouest du pays scandinave.
Soignée pour un stress post-traumatique sévère, elle apprend doucement le danois.
Le sort de ses filles l'inquiète. Le sourire malicieux, Shahed a 10 ans, Tasnim, plus sérieuse, en a 12. Elles ont fait toute leur scolarité au Danemark et ne maîtrisent l'arabe qu'à l'oral.
« S'ils m'arrêtent, qui va s'occuper d'elles ? », s'inquiète leur mère. Selon la famille, leur maison à Damas a été bombardée.
Comme Sabriya, qui avait obtenu son permis de séjour en 2016 à cause de la situation générale en Syrie, au moins 200 Syriens se sont déjà vus priver depuis l'été 2020 de leur permis de séjour après la décision de Copenhague de réexaminer 500 dossiers au motif que « la situation actuelle à Damas n'est plus de nature à justifier un permis de séjour ou son extension ».
Une première pour un pays de l'Union européenne.
Propulsé de facto chef de famille à la mort de son père en Syrie, Abdo est le premier à être arrivé au Danemark, en 2014. Son frère, puis sa mère et ses sœurs, l'ont rejoint.
Depuis la décision administrative, il se démène pour éviter la séparation.
« Les services d'immigration n'ont pas pris en compte que nous sommes une famille », s'indigne le jeune homme de 27 ans, récemment marié. « J'ai pris soin (de mes sœurs), elles ont grandi avec moi. Elles m'aiment comme leur père », explique-t-il.
Objectif zéro demandeurs d'asile
Jamais il n'aurait pu imaginer cette situation, explique le manutentionnaire.
Mais en matière d'immigration, les gouvernements danois successifs ne cessent de resserrer la vis, forts du soutien de l'opinion et de la majorité du spectre politique.
« En 2019, il y a eu un changement : on a commencé à expliquer aux réfugiés qu'ils n'étaient là que temporairement et qu'à un moment, ils devraient rentrer », explique Daniel Nørrung, leur avocat.
Aux commandes depuis deux ans, la sociale-démocrate Mette Frederiksen a un objectif assumé de « zéro demandeur d'asile », ligne dure pour un parti de gauche déterminer à récupérer les voix de l'extrême-droite.
« Manque d'emploi, taux de criminalité élevé, différends culturels : on ne veut pas voir augmenter ces problèmes », justifie Rasmus Stoklund, porte-parole du parti sur les questions migratoires.
Depuis qu'il a lu la fameuse lettre, Mohamed, qui voudrait devenir médecin, se sent perdu. « Je vais à l'école, je travaille, je me prépare pour entrer au lycée. Je fais les choses bien ... Je trouve que ce n'est pas juste », dit le jeune homme de 18 ans dans un danois policé.
Selon Nørrung, la majorité de ses clients contestant la décision vivent avec cette épée de Damoclès pendant un an avant d'être fixés définitivement sur leur sort. Dans environ la moitié des cas, la justice renverse la décision initiale.
Tollé
Abondamment critiqué par l'ONU, la Commission européenne et les ONG qui estiment que les récentes améliorations dans certaines parties de la Syrie ne justifient pas la fin de la protection des réfugiés, le Danemark n'entend pas pour autant changer d'avis.
La semaine dernière, le Parlement a voté à une large majorité (62 pour, 32 contre) une déclaration confortant la décision, malgré l'émergence d'un mouvement de soutien aux Syriens dans le royaume.
« Dans le cas où différentes autorités ont estimé que la situation dans la région de Damas s'est stabilisée (...) il n'y a aucune raison pour les personnes qui ne sont pas personnellement persécutées de ne pas y retourner », défend Stoklund.
Pour Abdo, cette position est intenable.
« Quand vous dites que la Syrie est un pays sûr alors que tous les pays du monde disent le contraire (...) c'est un mensonge », assène-t-il.
Légalement, les permis temporaires de séjour sont donnés en cas de « situation particulièrement grave dans le pays d'origine caractérisée par des violences arbitraires et des agressions contre des civils ». Ils peuvent être de facto révoqués lorsque la situation n'est plus jugée comme telle.
Si aucun ne peut toutefois être expulsé de force, en l'absence de relations avec le régime de Bachar al-Assad, les déboutés sont invités à quitter le pays volontairement, ou placés en centre administratif.
Quelque 35 500 Syriens vivent au Danemark, dont plus de la moitié sont arrivés en 2015, selon l'institut statistique national.