EL MGHIRA: La Tunisie a beau avoir installé des hôpitaux de campagne et avoir embauché du personnel soignant, elle a de plus en plus de mal à prendre en charge les malades de la Covid-19 et à trouver l'oxygène nécessaire pour les cas les plus graves.
Bien que réticent à imposer de nouvelles restrictions en pleine crise sociale, le gouvernement a décidé vendredi d'imposer un nouveau confinement d'une semaine --du 9 au 16 mai, qui coïncide avec la fin du ramadan--, avertissant que le système de santé « mena(çait) de s'écrouler ».
« La situation est très grave », indique Amen-Allah Messadi, membre du comité scientifique pour la lutte contre la Covid-19, et chef du service de réanimation de l'hôpital de Ben Arous, en périphérie de Tunis. « Le nombre de patients dans les hôpitaux a presque doublé en seulement un mois ».
Résultat: les besoins en oxygène ont dépassé les capacités de production de la Tunisie, qui a dû se tourner vers l'Europe puis vers l'Algérie récemment.
« La consommation a été multipliée par quatre ou six », selon le docteur Messadi.
Les deux producteurs d'oxygène installés en Tunisie --Air Liquide et Linde Gas-- produisent environ 100 000 litres par jour mais les hôpitaux et cliniques ont actuellement besoin de 170 000 litres. Trouver les 70 000 litres manquants représente un défi quotidien.
Dans l'usine de Linde Gas à El Mghira, près de Tunis, des dizaines employés s'activent 24 heures sur 24 pour fournir les établissements de santé en envoyant des camions-citernes sillonner les routes chaque jour.
Le niveau d'oxygène dans les réservoirs des hôpitaux est surveillé à distance en permanence: sur les écrans clignotent des signaux verts ou rouges, selon la demande.
« Nous sommes à flux tendus », souligne Wajdi Ben Raies, directeur commercial et marketing chez Linde Gas Tunisie.
Les producteurs ont dû importer de France ou d'Italie depuis octobre. Mais lorsqu'un pic brutal s'est déclaré en février, il a fallu faire plus vite et se fournir auprès de l'Algérie voisine.
Des camions se rendent à la frontière, attendant parfois des heures, pour remplir leurs citernes d'oxygène depuis des camions algériens qui ne peuvent entrer en Tunisie en raison des restrictions liées au Covid-19.
Vaccins au ralenti
« Si ça continue à augmenter à ce rythme-là, on risque d'avoir des ruptures d'oxygène », prévient M. Ben Raies.
Les besoins quotidiens pourraient bientôt atteindre 200 000 litres.
La situation est actuellement « sous contrôle » mais « elle est fragile car nous restons otages de pays voisins qui peuvent cesser les exportations à tout moment » en fonction de leur propre situation, explique-t-il.
« Et nous ne sommes jamais à l'abri d'un petit souci, une machine qui s'arrête ou bien un bateau en retard à cause du mauvais temps, ce qui peut mettre en péril cette chaîne de logistique et entraîner une rupture à tout moment », relève le médecin.
Signe des difficultés d'approvisionnement : des dizaines de patients du principal hôpital de Sfax, où les réserves d'oxygène baissaient dangereusement, ont été transférés la semaine dernière en urgence, de nuit, vers d'autres hôpitaux.
La Tunisie a enregistré en avril un nouveau pic de contaminations, et des dizaines de décès quotidiens. Ce pays de douze millions d'habitants a recensé 319 000 cas, dont plus de 11 000 décès.
Plus de 500 personnes se trouvent actuellement en soins intensifs --un niveau sans précédent--, les services de réanimation sont presque saturés et les lits d'oxygénothérapie sont exploités à 80%, selon le ministère de la Santé.
La campagne de vaccination lancée mi-mars n'a pas atteint le rythme prévu, ralentie par la difficulté à s'approvisionner en vaccins et perturbée par des dysfonctionnements de la plateforme gouvernementale e-vax.
Environ 333 000 personnes ont reçu au moins une dose en deux mois, un niveau insuffisant pour endiguer la propagation des variants plus contagieux.
Alors qu'une quatrième vague de contaminations menace, le manque d'oxygène s'ajoute à l'épuisement du personnel soignant dans un système de santé fragile.
« Si nous n'arrivons plus à fournir une oxygénothérapie aux patients, ce sera une tragédie, et nous ne pouvons pas en arriver là, » martèle le Dr Messadi.