Lorsque le régime iranien a accédé au pouvoir, dans le sillage des événements de 1979, une seule faction politique régissait l'establishment théocratique: le Parti de la République islamique, dirigé par le fondateur de ce régime, l'ayatollah Khomeini. À cette époque, il était le chef suprême qui réunissait sous sa direction la quasi-totalité des politiciens.
La mort de l'ayatollah Khomeini a toutefois vu émerger de nouveaux partis politiques. Des étiquettes comme celles de «réformistes», «modérés», «pragmatiques» et «principlistes» (droite conservatrice) sont alors apparues dans les médias. Ces étiquettes caractérisent en effet désormais les politiciens d'Iran, que ce soit dans le pays ou à l'international.
Ce phénomène inédit a certes donné un coup de pouce au régime pendant un certain temps. Pour commencer, l'establishment a pu faire faussement espérer aux gens ordinaires (particulièrement les jeunes) que les changements politiques, sociaux et économiques auxquels ils aspiraient, seraient réalisés par les réformateurs ou les modérés. Cette tendance a accru le taux de vote et des millions de personnes se sont présentées aux urnes afin d’élire des figures politiques telles que Mohammad Khatami et Hassan Rohani. En contrepartie, le régime a su tirer parti de la forte participation aux élections pour véhiculer une image de légitimité.
En second lieu, ces factions politiques émergentes ont permis au gouvernement de donner au reste du monde l'image erronée d'une démocratie dynamique et fonctionnelle. En outre, les factions et les étiquettes nouvellement établies ont permis au Guide suprême et au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) de concrétiser leurs ambitions révolutionnaires. Parmi les exemples frappants, citons le rôle prépondérant des modérés dans la levée des sanctions contre l'Iran en 2015, lors des négociations de l'Accord sur le plan d'action global conjoint (JCPOA). Les factions, tous horizons confondus, ont permis au Guide suprême, Ali Khamenei, de contourner les obligations de rendre des comptes et d'assumer les responsabilités, dans la mesure où il pouvait imputer aux modérés ou aux réformistes tous les échecs économiques, sociaux et politiques du pays.
Or, les prétendus modérés d'Iran font partie intégrante de l'establishment politique du pays depuis de longues années. Bon nombre d'entre eux, y compris le président actuel, Hassan Rohani, ont dans le passé soutenu ou fondé la théocratie chiite du régime. Ces modérés, comme feu le président Akbar Hashemi Rafsanjani, passaient autrefois pour des «partisans de la ligne dure».
Pour faire de la politique en Iran, il convient de faire preuve d’une loyauté indéfectible envers les fondements de l'establishment politique. En effet, Velayat-e Faqih se trouve au cœur de la pensée politique défendue par l'ayatollah Khomeini – une doctrine qui impose au peuple un système politique basé sur la tutelle et qui exige qu'une figure religieuse chiite dirige la nation.
Les factions politiques d'Iran se retrouvent donc autour d’un intérêt commun: garantir la survie du régime. Toutefois, une seule différence oppose partisans de la ligne dure, réformistes et modérés: les méthodes qu'ils souhaitent employer. Autrement dit, pour parvenir à cet objectif, ils préconisent des moyens différents, mais tous aspirent à la même fin.
Les modérés aspirent désormais à un pouvoir accru et à une participation plus importante à la vie politique.
Dr Majid Rafizadeh
Néanmoins, si le régime est parvenu, dans le passé, à bien contrôler ces factions politiques, leurs divergences deviennent aujourd'hui incontrôlables, ce qui accentue les divisions au sein du pays et compromet la pérennité du régime. Ainsi, les journaux contrôlés par l'État, qui publiaient auparavant les mêmes tribunes, fourmillent chaque jour de critiques contre les différentes factions politiques.
Le CGRI, tout comme le Guide suprême, manipulent depuis bien longtemps les partis modérés comme des marionnettes. Ceux-ci occupent des postes honorifiques qui ne leur confèrent aucun pouvoir. Ils aspirent désormais à un pouvoir accru et à une participation plus importante à la vie politique. L'exemple le plus frappant est la divulgation de l'enregistrement du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif dans lequel il dit: «J'ai sacrifié la diplomatie au profit du domaine militaire alors que le domaine militaire doit être au service de la diplomatie.» Mais aussi: «Dans la République islamique, le domaine militaire règne.»
Il est fort possible que M. Zarif, avec son parti politique prétendument modéré, ait égoïstement orchestré cet incident dans le but de démarquer le ministre des Affaires étrangères du régime, car ils sentent que ce dernier est à bout de souffle et qu'une révolution risquerait de le renverser. Lorsque les gouvernements sont impopulaires et risquent d'être renversés, nombreux sont les politiciens opportunistes qui essaient de se distancer du régime afin de défendre leurs intérêts politiques et financiers dans l'ère post-révolutionnaire et d’échapper aux poursuites.
Ceux qui détiennent le contrôle ultime sur les politiques étrangère et intérieure de l'Iran – en l'occurrence l’ayatollah Khamenei, les cadres supérieurs du CGRI et sa branche d'élite, la Force Qods – s'efforceront sans doute d'éliminer cette scission qui s'est avérée bénéfique pendant bien longtemps, mais qui menace désormais la mainmise du régime. Le Guide suprême, le CGRI et la Force Qods tenteront très probablement de recruter des partisans de la ligne dure et des chefs militaires dans tous les organes gouvernementaux. S'ils désignent le prochain président parmi ces personnes-là, ils auront réussi à maîtriser tous les organes gouvernementaux.
Les divisions internes constituent d’ores et déjà un véritable danger qui menace le régime iranien. Toutefois, le Guide suprême et les principaux cadres du CGRI ne tarderont pas à réagir, à réprimer ces scissions et à placer un partisan de la ligne dure à la tête de l'État.
Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard. Twitter : @Dr_Rafizadeh.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.