BEYROUTH: Ingénieur de formation, ancien directeur de l’Institut français d’Irak et conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Bagdad, Jean-Noël Baléo dirige depuis le 1er septembre 2020 la direction régionale Moyen-Orient de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), premier réseau universitaire au monde – plus de 1 007 établissements universitaires et de recherche dans 119 pays. Également titulaire d’un doctorat en sciences de l’École des mines de Paris, il compte à son actif trente années d’expérience professionnelle au cours desquelles il a occupé plusieurs postes à responsabilité dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche puis dans la coopération internationale et la diplomatie.
Arab News en français l’a rencontré à Beyrouth où il s’est confié sur les défis auxquels fait face l’enseignement supérieur dans la région – notamment avec la pandémie de Covid-19 – et a réaffirmé l’engagement et la volonté de l’AUF de consolider les domaines dans lesquels elle intervient tels que la formation, la recherche, le développement durable et l’entrepreneuriat.
En septembre 2020, vous avez été nommé à la tête de la direction régionale Moyen-Orient de l’AUF, qui regroupe à elle seule 89 universités ou centres de recherche dans 16 pays du Moyen-Orient. Quelle est la stratégie mise en place en priorité pour votre mandat?
Les universités du Moyen-Orient sont confrontées à de nouveaux défis, dans un environnement marqué par des chocs externes, à commencer par la crise sanitaire. Au Moyen-Orient, l’AUF concentre l’accompagnement de ses établissements membres autour de plusieurs orientations stratégiques:
- développer les capacités d’expertise et d’innovation par la recherche et répondre aux enjeux économiques et sociaux prioritaires de la région;
- épauler les universités dans leurs efforts de résilience face aux crises auxquelles elles sont confrontées, notamment dans la nécessité de réseautage et de coopération internationale;
- transformer les méthodes d’enseignement par l’innovation pédagogique, notamment par le recours à l’outil numérique;
- mettre en place une démarche entrepreneuriale et d’insertion professionnelle des étudiants, en lien avec le monde socioprofessionnel;
- mettre en place une démarche en faveur de la qualité;
- soutenir l’usage de la langue française et la francophonie scientifique.
L’AUF, qui affirme avec force son positionnement en faveur du développement des sociétés, entend se déployer sur l’ensemble du cycle éducatif d’une part, et comme partenaire de l’élaboration de politiques publiques d’autre part. Elle est elle-même opérateur de programmes ou de projets à impact national financés par des bailleurs nationaux ou multilatéraux.
Envisagez-vous un développement du réseau dans la région Moyen-Orient et Golfe?
Le nombre de membres de l’AUF au Moyen-Orient est important avec 89 établissements dont 24 au Liban, 19 en Égypte, 11 en Iran, mais seulement 3 dans le Golfe. Il est clair que cette présence insuffisante de l’AUF dans le Golfe ne reflète pas l’intérêt stratégique de cette région. Aussi, l’AUF a décidé de porter ses efforts pour développer une offre de services et étoffer son portefeuille de projets dans le Golfe. Un effort très significatif est également conduit pour que l’AUF s’investisse davantage en Égypte.
Aujourd’hui, l’expansion de la Covid-19 pousse de nombreux établissements universitaires à aller vers les enseignements en ligne. Quelle est la position de l’AUF – notamment dans la région qui connaît de nombreuses disparités – à ce sujet?
En effet, l’impact de la crise sanitaire très suivie par l’AUF, pour n’évoquer que celle-ci, a frappé de plein fouet les institutions d’enseignement supérieur de la région. La fermeture des universités et l’obligation de mettre en place des enseignements à distance ont été un choc brutal et un bouleversement pour la grande majorité des établissements du Moyen-Orient, qui n’y étaient pas forcément tous préparés. L’obligation est devenue aiguë, avec la crise sanitaire, d’engager une mutation partielle du tout présentiel vers une partie d’enseignement à distance. La place de l’usage du numérique dans les pratiques pédagogiques est ainsi devenue stratégique. Enfin, la région du Moyen-Orient est insérée dans un contexte mondial de l’enseignement supérieur dans lequel la tendance de fond est à l’introduction de cursus hybrides.
Dans ce contexte, l’AUF accompagne ses universités membres, via des formations de formateurs, pour intégrer le numérique dans les pratiques pédagogiques, renforcer les compétences, et favoriser l’innovation et la qualité dans le domaine des technologies éducatives. L’AUF, positionnée de longue date avec son expertise dans le domaine du numérique, son réseau de campus numériques francophones et ses initiatives en formations ouvertes et à distance, est également opérateur de grands projets au Moyen-Orient. Ces derniers visent à engager la transition des universités vers l’usage pédagogique du numérique, sur des bases rationnelles, efficaces et éprouvées, afin de permettre à nos membres bénéficiaires d’assurer une continuité pédagogique via un enseignement en ligne de qualité.
Quels sont, à votre avis, les défis auxquels fait face la francophonie d’aujourd’hui globalement? Et dans le monde arabe en particulier?
Les défis auxquels doit faire face la francophonie sont nombreux, et en particulier dans la région. L’usage de la langue française est parfois perçu comme en recul, ici dans notre région, alors même que le français, cinquième langue mondiale avec plus de 300 millions de locuteurs en grande majorité de moins de 30 ans, seule langue parlée avec l’anglais sur tous les continents et deuxième apprise dans le monde après l’anglais, connaît une dynamique remarquable. C’est donc une langue d’avenir pour les jeunes, notamment en Afrique, et un premier choix évident de seconde langue de référence dans de très nombreux pays non francophones.
Aujourd’hui, le français, tout en conservant ses atouts spécifiques linguistiques et culturels, s’affirme comme une langue utilitaire, une langue de l’employabilité et de l’emploi, des échanges économiques et de la mobilité internationale. Les jeunes de la région qui la choisissent l’ont bien compris.
Un message à notre lectorat – notamment aux étudiants – francophone dans le monde arabe?
Je dirai aux étudiants de la région qu’après les avoir écoutés à l’aide de la consultation mondiale qu’elle a organisée courant 2020, l’AUF s’apprête à renouveler son offre et son interaction précisément avec le public étudiant. Cela se fera par la mise à jour technologique de ses Campus numériques francophones (CNF) et la mise en place de nouveaux espaces d’accueil qui leur seront ouverts, les Centres d’employabilité francophones (CEF), notamment destinés à favoriser l’insertion professionnelle et soutenir des initiatives d’entrepreneuriat étudiant. Et pour conclure, je leur rappelle l’intérêt majeur du plurilinguisme et du français comme outil d’employabilité internationale et d’ouverture sur le monde.